« TÉLÉVISION ET PHYSIOLOGIE HUMAINE »
de Rainer Patzlaff
Et la télé ?
Oh, vous savez, chez nous on la regarde peu, on n’abuse pas… surtout pour les enfants… on essaye de choisir les programmes, de ne pas regarder n’importe quoi !… et puis on fait des tas de choses par ailleurs… mais il faut bien être informé, être au courant, vivre avec son temps quoi… n’est-ce pas ?

On ne va pas ici poursuivre le dialogue au risque de culpabiliser certains, de voir se rengorger d’autres, ou bien de passer pour une vieille-barbe hypocrite et ridicule qui essaye de faire le procès de la Télé.

Cependant, s’il est bon, bien entendu, de s’interroger sur les impacts psycho-sociologiques de la TV, ne faut-il pas avant toutes choses s’informer de manière scientifique, puis réfléchir et prendre position en connaissance de cause, sur le phénomène télévisuel-même, quelque soit le programme ? La brochure de Rainer Patzlaff « Télévision et physiologie humaine » nous y invite de manière approfondie, documentée et engagée tout en étant de caractère non dogmatique. Il existe en allemand un livre du même auteur au titre évocateur : « Das gefrorene Auge » (l’oeil gelé).

Indépendamment du programme donc, dont le goût et la pertinence ne sont pas toujours des plus raffinés…, considérons le/la téléspectateur(trice) en tant que tel(le) sur son fauteuil — notons à ce propos déjà qu’il n’y a pas eu besoin de se déplacer pour aller au spectacle — l’œil fixé, figé sur « l’étrange lucarne ».

Grâce à certaines techniques modernes — ceci est montré en détail dans la brochure — certains éléments de « physiologie humaine télévisuelle » ont pu être mis en évidence :

  • les mouvements de l’œil sont alors réduits dans des proportions extrêmes; ils sont alors nécessairement remplacés, pour que le sujet ne s’endorme pas !, par des mouvements de caméra d’autant plus exagérés (changements brusques et répétitifs de plan, zooming intensif etc…). L’œil collé à l’écran, sans guère de mouvement propre, est alors en quelque sorte « brancardé » en ambulance à grande vitesse !
  • la saisie active des points lumineux qui résulte d’une activité métabolique intense au niveau de la rétine, avec un mouvement de substances engageant les forces du sang dans le jeu coloré des couleurs complémentaires ; cela non plus ne peut se dérouler de manière saine et bienfaisante en raison du caractère ultra-évanescent des points lumineux issus du balayage de l’écran TV. Le processus de digestion de la lumière est alors faussé ; il s’agit au sens fort du terme d’un véritable trompe-l’oeil (ceci n’a pas lieu sur les diapositives ou la projection cinématographique).

Ainsi au plan physiologique pur, les deux activités volontaires (inconscientes mais actives, engageant la volonté) qui sont le propre du Je humain et qui sont les clés du pouvoir visuel, pouvoir qui permet de passer du simple « regarder » au « percevoir », ces deux activités essentielles sont considérablement amoindries devant le petit écran. Le téléspectateur a ainsi sans le savoir, délégué son pouvoir visuel à la machine; en conséquence il risque de devenir de plus en plus passif, c’est-à-dire perméable, influençable, voire dépendant. En effet, la passivité engendre la passivité… puis le besoin car il faut bien alors remplir un vide ; le cercle vicieux de la dépendance est alors bouclé, la TV devenant la « drogue de salon » obligée !

Tout ceci est dit non pas pour dramatiser mais pour éveiller les consciences, et cela est d’autant plus nécessaire que l’on a, sous sa responsabilité éducative, des enfants. L’enfant de la première septaine est en effet « tout entier organe des sens » – R. Steiner – et il se construit corps et âme sur la base de la force de l’imitation, sans posséder encore la possibilité de prendre du recul par rapport à ce qui lui est présenté et qu’il ingurgite en toute confiance « pour de vrai » ! Ne faut-il pas, pour le moins, veiller avec autant de soin à la nourriture qu’il prend pour les sens qu’à celle qu’il reçoit dans l’assiette ?

Est-ce à dire qu’il faille rejeter la TV au grenier ? En tout cas pour les enfants de moins de 7 ans et même jusqu’à 10 ans, la plus grande réserve nous paraît s’imposer, non pas de façon dogmatique – péremptoire mais par connaissance de l’être humain, de ses besoins fondamentaux comme de sa vulnérabilité  potentielle , « en fonction de sa physiologie » (R.P.) Pour les plus grands… à chacun de se déterminer pour le meilleur usage possible de la TV ; par exemple l’on pourrait pallier la passivité psycho-physiologique qu’entraîne le processus télévisuel en tant que tel par un surcroit d’activité intérieure et de dynamique inter-personnelle: choix délibéré du programme et s’y tenir, discussion critique après l’émission, comparaison avec d’autres spectacles: TV, théâtre, concert, etc…

Cela demande certes vigilance accrue et fermeté de caractère, mais « la vie ne vaut-elle pas que par nos propres efforts  ?» – F. Mauriac.

En tout cas, ça vaut la peine de lire cette brochure revigorante, le feuilleton TV peut bien attendre un peu… !

Michel Lepoivre
Rainer Patzlaff : Télévision et physiologie humaine

Brochure : 31 pages Anthrosana Frs. 7.—
à disposition à la librairie de Bois Genoud

publié dans la revue La Vie de l’Ecole de la St-Jean 2001