Dans le monde du handicap, cette fin de 20ème siècle aura été marquée par l’intégration. En effet, ces dernières années, de plus en plus d’enfants de tous handicaps suivent une scolarité « normale » et sont accueillis dans les écoles publiques ou privées.

L’intégration des enfants sourds a été grandement facilitée, dès le début des années 80, par l’apparition d’une méthode: le langage parlé complété (LPC). C’est une technique, qui complète la lecture labiale et qui permet de transmettre la totalité du message parlé. Lire sur les lèvres est indispensable pour une personne sourde, mais de nombreux mots ont une image labiale identique (bain – main – pain, par exemple). Avec le LPC, chaque phonème prononcé est accompagné d’un geste précis de la main autour du visage, ce qui permet d’éliminer toutes les ambiguïtés. L’enfant sourd, dès son plus jeune âge, regarde à la fois le mouvement des lèvres et la configuration de la main de la personne qui lui parle. Il peut ainsi « voir les sons » de la langue, puisqu’il ne peut pas les entendre. Il apprendra, de cette façon, plus naturellement à parler, à lire et à écrire.

Sophie est une élève de la 4ème classe. Elle est blonde, vive, joyeuse, espiègle… Regardez-la jouer avec ses camarades, en équilibre sur le gros tronc derrière le réfectoire ! Rien ne nous indique que cette gracieuse fillette vit dans le silence absolu ! Sa surdité profonde, constatée dans les premières semaines de sa vie suite à une grave maladie, ne se remarque pas. A moins qu’on lui adresse la parole…

Depuis qu’elle est toute petite, sa famille communique avec elle au moyen du LPC. Elle a donc très vite intégré le français, même si la profondeur de sa surdité l’empêche encore de s’exprimer clairement.

Pour les parents de Sophie, le choix de l’Ecole Steiner allait de soi, puisque leurs nombreux autres enfants sont tous élèves à Bois-Genoud. Dès le début de sa scolarité, ses parents ont demandé à ce qu’elle puisse bénéficier de l’intervention d’une codeuse-interprète en LPC quelques heures par semaine. Les codeuses-interprètes sont des personnes connaissant parfaitement le LPC, formées pour l’accompagnement des enfants sourds en classe.

C’est ainsi que depuis l’entrée de Sophie à l’école, je l’accompagne 3 matinées par semaine, durant le cours principal. Les 2 autres matinées, c’est une de mes collègues qui est présente, pendant que je travaille auprès d’autres enfants sourds intégrés.

Au moyen du LPC, je transmets à Sophie les propos du maître, mais aussi les interventions des enfants. Elle peut ainsi participer pleinement en classe, lever la main, répondre aux questions, intégrer les matières scolaires et voyager dans l’imaginaire pendant la narration des contes ou légendes. Durant les moments de flûte ou de chant, difficilement accessibles pour elle, je consolide les notions de français ou de calcul, en lui proposant quelques exercices écrits. Les enfants sourds ont, plus que les autres, besoin de repères écrits pour apprendre.

Monsieur Klink, le maître de Sophie, a appris le LPC. Il peut ainsi se faire aisément comprendre de son élève quand il lui parle en privé. Mais la tâche serait insurmontable s’il devait s’adresser aux 27 enfants, tout en codant pour Sophie… Ma présence lui permet de donner son cours normalement, sans se soucier constamment de cette élève particulière.

Quelle merveilleuse aventure pour moi, que ce cheminement aux côtés de Sophie ! Je suis le témoin de ses découvertes, de ses apprentissages, de ses progrès, de ses émotions… Quel bonheur de la sentir de plus en plus à l’aise parmi ses camarades, de voir quelques filles de la classe commencer à coder, d’observer ces enfants apprendre la tolérance en côtoyant quelqu’un de différent. Quel plaisir, lors de la fête trimestrielle, d’entendre Sophie réciter le poème presque en même temps que les autres, juste en léger écho… dû au codage, qu’elle est obligée de suivre encore. Le « par cœur » sera pour bientôt !

Je me sens accueillie dans cette classe en toute harmonie et confiance, et je me réjouis de poursuivre la route, dans ce cadre si attachant. Merci à vous tous pour votre accueil !

Monique Masur, codeuse-interprète
publié dans la revue La Vie de l’Ecole de Noël 2000