ETAT DE LA PLANETE

Entretien avec Dominique Bourg, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement (Université de Lausanne), membre du comité de veille de la Fondation Nicolas Hulot et auteur de nombreux livres sur les questions écologiques.

Jusqu’à quel point la terre est-elle malade ?

Elle se porte mal. Au point que la pollution visible n’est plus qu’un aspect mineur dans les dérégulations générales. Les océans s’acidifient, les cycles du carbone, de l’azote ou de l’eau sont perturbés. Toutes sortes de services fournis par la nature se dégradent : la fertilité des sols, la qualité de l’air, etc. La situation la plus dramatique est celle des océans, en raison de notre effroyable razzia de poissons.

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Dominique Bourg

 

Nous avons aussi un problème de ressources en voie d’épuisement. Là c’est un problème qui affecte moins les autres espèces vivantes, mais qui aura de graves conséquences pour nous. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le pic pétrolier (sommet historique de la courbe de production) a été atteint en 2006, alors que la consommation augmente encore. De nombreux minéraux comme le fer, le cuivre, le nickel, seront bientôt épuisés, les réserves de la planète, au rythme où nous les utilisons, varient d’une dizaine à une cinquantaine d’années. L’eau douce commence à manquer dans beaucoup de régions, en Australie par exemple où on renonce à l’agriculture sur de vastes étendues. Ce que nos sociétés ont encore du mal à comprendre, c’est que la pollution n’est plus le problème : on peut la réduire en produisant mieux. Nous en sommes au stade où il faut réduire notre consommation, qui sème la zizanie dans la biosphère. Mais consommer moins alors que la population augmente et des milliards d’être humains rêvent d’accéder à la prospérité, c’est un défi immensément plus difficile.

Quelles seraient les meilleures façons d’enseigner le respect de la Terre ?

En montrant les dégâts qu’elle subit. Les chiffres, on s’en moque. Il faudrait prendre des exemples, montrer des images. Mais c’est difficile parce que la plupart des dégradations ne sont pas visibles. On ne voit pas les changements dans la composition chimique de l’atmosphère, ou les micropolluants dans une salle de classe. Les eaux sales d’une rivière polluée, les fumées des usines, ça se voyait. Le taux d’acidité des océans ne se voit pas. Il faut donc trouver des expressions indirectes de ces problèmes. Par exemple, en Suisse, le recul des glaciers pour illustrer le réchauffement climatique. L’état de la Terre devrait imprégner tous les enseignements scolaires. Montrer que notre relation au monde a profondément changé devrait être une mission prioritaire de l’école. Et cesser de valoriser le progrès ou la croissance économique. L’humanité s’en sortira plus ou moins en cessant d’aggraver les maux et en apprenant à s’adapter.

Que peut nous enseigner aujourd’hui la Terre ?

Tellement de choses ! Par exemple, les fourmis ont des antibiotiques qui ne suscitent pas de résistance. Les loups du Grand nord canadien se nourrissent de rongeurs ou de caribous malades, et ils ont développé tout un savoir-faire pour repérer les malades. Cette intelligence m’a toujours fasciné : elle n’est pas réflexive, mais elle est saisissante. On peut s’inspirer de la nature pour faire mieux, par biomimétisme. Elle n’est pas dans l’excès, elle trouve toujours l’équilibre, l’optimum, elle ne gaspille pas, elle recycle ses déchets. Elle peut être sévère pour l’individu, et là nous, êtres humains, avons d’autres exigences, mais elle enseigne la répartition des rôles, l’adaptation… La vie est là depuis des milliards d’années, on n’arrivera jamais à faire aussi bien.

Propos recueillis par Alain Maillard
publié en été 2011 dans la revue entr’écoles (journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse Romande n°8)