LA TERRE ET NOUS
selon Rudolf Steiner, par Timothée et Frédéric Faes

Jamais, dans la pédagogie Steiner, il ne devrait y avoir de recette, de méthode toute faite. Nous n’allons donc pas vous proposer de recette pour enseigner le respect et les soins à la Terre, mais des bases pour que le comment germe en vous à partir de la connaissance, des besoins, de votre sagesse et de votre amour.

Pour pouvoir prendre soin de la Terre, il nous semble indispensable de connaître ses origines. Dans maintes légendes et textes religieux sont évoquées des activités divines pour faire apparaître le Monde. Souvent ces Dieux font partie du Cosmos, parfois ces Divinités paraissent nettement plus terrestres, mais cependant divinisées, telle « la Vache Céleste », mère de la Terre, ou « l’Arbre Géant », porteur du monde.
Rapprochons-nous de notre époque. Suite aux travaux d’Isaac Newton sur la gravitation, tout au début du 18ème siècle, une explication de la formation du système solaire fut développée par Kant et Laplace. Par gravitation, des éléments d’une nébuleuse primordiale s’agglutinent pour former le système solaire. En 1948, George Gamow propose la théorie du « Big Bang ». Une source quasi-infinie d’énergie pure s’épand à la vitesse la plus grande possible. Ceci crée la matière primordiale.
Environ 7 milliards d’années plus tard, la Voie Lactée, ensuite le Soleil puis la Terre se forment à partir d’une concrétion de gaz et poussières issus d’explosions stellaires de 3ème ou 4ème génération. Sur cette terre, suite à des événements fortuits, apparaît la vie, qui évolua tel que le décrit en 1970 Jacques Monod dans « Le hasard et la nécessité ». L’homme, progressivement se redresse, marche sur ses deux jambes et, se pose la question de son origine !
Dans un contexte qui le permet, je pose à mes étudiants la question : « Qui d’entre vous a l’impression ou la certitude de descendre du singe ? » J’en ai parfois un, exceptionnellement deux qui répondent par l’affirmative. C’est à ce moment que la question fondamentale et essentielle se présente : quelle est l’origine de l’humanité et de la Terre ? Lorsque nous aurons cerné son origine nous pourrons envisager le respect et les soins à lui porter !

L’origine de l’Homme, selon Rudolf Steiner

Voyons comment Rudolf Steiner présente, dans le livre « Science de l’Occulte » (1907), tout le cheminement qui abouti à la Terre. Nous allons très brièvement esquisser ici ce cheminement pour tenter de vous apporter la relation entre l’Humanité et les Hiérarchies spirituelles, ainsi que celle entre la Terre et l’Homme.
Trois phases successives préparent l’étape Terre. Dans la première, les Hiérarchies les plus élevées sacrifient une part d’elles-mêmes pour constituer, sous forme de chaleur, le corps physique de l’Homme. En créant l’Homme, elles créent le niveau le plus bas des Hiérarchies spirituelles. D’autres dons sont faits à cette « forme d’humanité » pour lui fournir des sens. Ceci permet aux hiérarchies des perceptions par l’intermédiaire de l’homme, c’est un échange.
Dans cette phase, Humanité et substrat ne sont pas distincts. Dans la seconde phase, il y a séparation partielle entre l’Humanité et son substrat. Ceci se fait dans un état mélangé de chaleur, lumière et gaz. Là aussi les différentes Hiérarchies sacrifient des parts d’elles-mêmes pour doter l’homme d’un corps de vie, d’organes et de sens supplémentaires. Ici aussi les Hommes offrent leurs perceptions aux hiérarchies supérieures.
Dans la troisième phase, la séparation entre l’Humanité et son substrat est quasi-totale, mais ils interagissent fortement. Là, l’état est un mélange chaleur, gaz et liquide. Les Hiérarchies supérieures dotent l’Homme d’un corps de sensations et d’organes supplémentaires. Apparaît à ce niveau ce qui deviendra les animaux.

L’Homme et la Terre ont besoin l’un de l’autre

C’est après ces temps très longs que peut débuter l’étape Terre. Actuellement nous en sommes au milieu de son évolution. Il y a une certaine correspondance entre les étapes de la création, dans la Genèse, et la description que Rudolf Steiner fait de la quatrième phase. Nous allons en tirer des éléments essentiels pour cheminer plus avant.
L’Homme est cocréateur de l’organisme Terre. Il est un organe de cet organisme. La vie de l’Humanité et de la Terre sont totalement liées. Si l’Homme venait à disparaître de la surface de la Terre, celle-ci mourrait. Voyons l’origine de ce risque dans un élément fondateur de notre civilisation. La Torah, la Bible et le Coran commencent par le même texte. « Au commencement Dieu créa… les Cieux et la Terre, les extrayant du tohu-bohu initial. Par un travail quotidien il organisa l’espace autour et dessus de celle-ci. Il y plaça les végétaux, les animaux, puis en dernier: Dieu modela l’Homme à son image et à sa ressemblance. » Suivirent tous les difficultés de la relation entre l’Homme et Dieu. Elles commencent par « le Péché Originel », croquer dans la pomme rvenant à manger le fruit de « l’Arbre de la Connaissance » ! Ceci fait que l’Homme a progressivement perdu ses perceptions suprasensibles naturelles et s’est de plus en plus lié aux perceptions du monde physique. Il n’avait alors qu’une compréhension partielle des événements. La pensée se développa pour palier à ce manque et organiser ses nouvelles perceptions en connaissance. Pensées et connaissance ouvrent la voie à l’éveil de la conscience. Conscience de soi, des autres, de ce qui l’entoure mais aussi conscience du passé et de l’avenir.

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Mission : conscience

Nous voyons donc clairement que l’Homme est un organe de cet organisme Terre et que sa mission d’organe est la conscience. Car c’est effectivement cette conscience qui nous caractérise dans notre état d’Homme. Bien sûr, actuellement, nous nous complaisons à une simple conscience de nous-mêmes, à une conscience individualiste; nous le percevons bien, justement, dans notre relation à la Terre où nous agissons en cherchant le profit individuel que nous allons pouvoir tirer de nos actes. Il est grand temps de cultiver une conscience qui tend aux perceptions macrocosmiques, qui englobe le Tout.
Un petit exemple, limpide de simplicité, s’impose. Une petite graine de rumex sommeille en terre depuis cinquante, voire cent ans. Un bon jour d’hiver, pour x ou y raison, le sol au dessus de cette graine se tasse à outrance. Elle, avec son intelligence (les guillemets n’ont pas été omis) de graine de rumex, germera le printemps suivant pour donner naissance à une plante avec un système de racines très développé. Elle a la force de décompacter des sols en profondeur. Cet exemple nous mène vers deux constatations. Premièrement, l’organe Rumex est totalement dévoué à l’organisme Terre. Il fait don de sa mission, de ses capacités pour maintenir l’équilibre de son organisme. Deuxièmement, sous forme de question : quelle est cette capacité de la graine de germer juste quand les conditions sont réunies pour que le rumex puisse accomplir ce qu’il doit ? Quelle est cette intelligence; cette harmonie avec ce qui l’entoure, son environnement ?

Aimer, pas exploiter

Et nous, notre intelligence, qu’est-elle ? Où est donc passée notre capacité d’agir de la sorte, avec cet instinct premier qui nous relierait totalement à l’organisme Terre ? Comme expliqué plus haut, lorsque l’Homme a choisit la connaissance il a perdu cela. Notre « intelligence » est mentale, intellectuelle. Mais par une conscience élargie, nous pouvons petit à petit trouver une intelligence qui englobe ce qui nous entoure, qui se meut dans le respect, l’amour et le don de soi pour notre Terre. Imageons ces propos par une nuance de vocabulaire; mettons en miroir le terme « exploitant agricole » et celui de « paysan », qui à priori pourraient vouloir dire la même chose. Le premier implique une conscience égocentrique, voire humanocentrique. C’est-à-dire que l’homme exploite sa terre en la considérant uniquement comme un support, un outil de production. Il lui prend ce qu’il peut pour son bénéfice ou au mieux pour le bénéfice de la communauté humaine. Le paysan, ou « homme du pays », lui, emplira sa conscience de ce qui l’entoure pour pouvoir façonner le pays(age) au plus près de l’équilibre du lieu. Ces deux états de conscience, égoïste et altruiste peuvent avoir des conséquences diamétralement opposées sur notre organisme Terre.

L’élève et la Nature

Il est plus que temps d’enseigner le respect et les soins à la Terre. Non pas en disant à un enfant qu’il doit trier le PET pour qu’on puisse faire des pulls avec, ou en le forçant à mettre ses papiers à la poubelle ! Mais en le guidant vers une ouverture subtile de sa relation à la Terre, dans la joie, le jeu et surtout l’amour. Fêter les fêtes de l’année, emplies de symbolique de ce que vit la Terre. Comme à la Saint Jean, où les forces solaires sont à leur apogée. Nous, en sautant par dessus le feu, nous nous emplissons de ces forces pour l’année à venir, tout comme les êtres élémentaires le font. Par ces actes l’enfant sera baigné intimement dans les rythmes de la Terre et il les vivra réellement pour pouvoir, si nécessaire, les comprendre mentalement par la suite. Offrons aussi à de jeunes enfants la possibilité de semer un champs de blé jusqu’à l’élaboration du pain, pour leur permettre de retrouver le sens sacré dans l’aliment et tout ce qui le compose : le soleil, la pluie, la terre et l’acte de volonté de l’Homme. Faisons-les entrer en contact avec les forces de vie et d’amour de la Terre.

Timothée Faes, paysan
Frédéric Faes, enseignant
publié en été 2011 dans la revue entr’écoles (journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse Romande n°8)