1861-2011 – CE QUE NOUS DEVONS A RUDOLF STEINER

POUR UNE ECONOMIE SOLIDAIRE
par Marc Desaules

Quelle est la contribution de Rudolf Steiner à l’économie ? Avant tout, nous lui devons une analyse très exacte des conséquences de l’égoïsme.

Steiner nous montre comment l’égoïsme, qui fait pourtant partie du développement de l’être humain en route vers son individualité, n’a rien à faire dans la sphère de l’économie. Là, nous tous sur la planète devrions nous sentir solidaires les uns des autres. Si personne ne voulait rien pour lui-même, et si chacun s’engageait par son activité en faveur de la communauté, celle-ci se porterait bien et par voie de conséquence chacun aussi. Ce n’est pas une utopie. Cette solidarité se pratique déjà aujourd’hui jour après jour par les parents au sein d’une famille. Ils font tout pour répondre aux besoins de leurs enfants, pour les nourrir, les habiller, les loger, les soigner, les éduquer, sans rien attendre en échange. Ils savent bien que lorsque tous ces besoins sont satisfaits, toute la famille se porte mieux. Il en va de même pour l’économie : elle exige de nous que nous puissions élargir notre égoïsme pour la famille à un égoïsme pour la Terre, pour toute l’Humanité.

Travailler pour les autres

Les idées de Rudolf Steiner ont-elles encore un sens aujourd’hui dans nos sociétés individualisées ? Plus que jamais et pendant longtemps encore ! La pensée de Steiner est si en avance sur son temps que la nôtre peine à être assez mobile pour en saisir la portée. Et comprendre vraiment l’économie, c’est un peu comme s’élever à un monde de couleurs alors que nous avons jusqu’ici tâtonné en noir et blanc…

Pratiquement, Steiner n’en reste pas à parler d’égoïsme en termes généraux. Il devient économiquement très précis pour qui veut bien le suivre. Prenons le travail. Tout change selon que je travaille pour moi, entendons par là pour mon salaire en faisant mes heures, ou pour les autres, entendons ici pour des besoins précis répondants à une nécessité. Dans le premier cas, mon égoïsme me désintéresse de mon activité ; dans le second, il s’ingénie à améliorer la manière de faire et à l’adapter aux besoins. Et Steiner de décrire – on ne peut le faire ici en détail – comment un produit sera finalement d’autant mieux payé que sa production aura été plus désintéressée, et de conclure : voilà pourquoi il est encore nécessaire aujourd’hui de travailler plus de 3 heures par jour !

La Fortune (allégorie) avec sa corne d'abondance sur l'avers d'un sesterce de Trajan (entre 98 et 117 ap. J.-C.)

La Fortune (allégorie) avec sa corne d’abondance sur l’avers d’un sesterce de Trajan (entre 98 et 117 ap. J.-C.)

Le juste prix

Un autre exemple peut illustrer le changement radical qu’on est appelé à prendre en main. Le prix d’un produit est juste s’il permet à son producteur de couvrir la totalité de ses besoins jusqu’à ce qu’il ait à nouveau pu faire un même produit. Cette définition de Steiner va au cœur du problème, ce que la notion moderne de ‘commerce équitable’ ne fait pas. En effet, ce n’est qu’à la manière dont le producteur pourra couvrir ses besoins que se mesure la justesse du prix, indépendamment de l’acheteur. Pourquoi ? C’est la seule façon de s’assurer que l’acte d’acheter n’engendre pas directement une forme d’esclavage. D’où la question très directe que chacun de nous peut se poser jour après jour : ai-je payé assez pour mes achats, ou au contraire, ai-je par là même fait de quelqu’un, quelque part, mon esclave ?

Face aux crises de la grande économie, il est tout autant radical. Il décrit comment l’économie devenant mondiale doit revoir complètement le concept de croissance. Car alors l’économie atteint en quelque sorte les limites de son expansion et doit découvrir les lois nouvelles d’un système fermé sur lui-même. Dans un tel environnement, toute vague que je fais finit nécessairement par me revenir. Et les flux monétaires ne peuvent que devenir incontrôlables. Un nouvel équilibre est à chercher dans une différenciation de l’argent utilisé pour acheter, pour prêter et pour donner. Cette distinction de trois formes d’argent est encore complètement absente du discours économique moderne. En réponse à la précarité croissante de l’équilibre économique mondial, c’est un bon moyen de se redonner de nouveaux points de repères qui, tels les phares d’antan, nous orienteront dans la tourmente.

Marc Desaules
publié au printemps 2011 dans la revue entr’écoles (journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse Romande #7)