En travaillant avec le droit, je dois constamment me demander: Quelle est la solution que j’estime juste face au problème qui est posé? Ensuite, je cherche la voie juridique qui me permet d’y arriver. C’est passionnant mais extrêmement dur!»

Lorsque, au Bazar de Noël, j’ai rencontréŽ Sonia (NDLR: une ancienne élève de l’école, prénom modifié*), je lui ai demandéŽ si elle acceptait que je l’interroge sur sa scolarité à l’Ecole Rudolf Steiner de Lausanne. Cette jeune femme au regard pétillant m’a alors répondu de sa voix ferme: «Oui, volontiers. C’est la moindre des choses. Je dois beaucoup ˆ cette école.»

Sonia, née en 1977, a effectué toute sa scolarité à l’école de Lausanne, à l’exception d’un stage à Michael Hall (GB) et de six mois à Springvalley (USA). C’est sa mère qui l’avait inscrite au jardin d’enfants Steiner. Il ne fait cependant aucun doute pour Sonia que ses deux parents ont assumé ce choix pour leurs deux filles. Sa classe avait 36 élèves! Une joyeuse bande; il fallait les voir, en douzième, interpréter «Sursis» d’Arthur Miller et «Tentation» de Vaclav Havel ! De toutes ces années de vécu partagé, ils ont gardé des liens d’amitié très forts. Cette classe soudée a certainement compensé la «marginalité scolaire» qui pesait parfois à Sonia, notamment dans les contacts avec son équipe de basket.

En été 1996, Sonia termine sa scolarité avec un «chef-d’œuvre» sur «La femme». Elle étudie les idéaux féminins dans le Nouveau Testament et analyse le développement du féminisme. La soif de connaître qui la caractérise depuis toujours la conduit ensuite, tout naturellement et sans « choc culturel », vers la préparation d’une maturité fédérale. C’est avec grand plaisir qu’elle «ingurgite le savoir à l’état brut» pendant deux ans – durée qu’elle estime néanmoins excessive. A l’université, elle peut ensuite, en toute liberté, acquérir les connaissances du droit suisse nécessaires ˆ son futur métier de juriste. Son diplôme en poche, elle part travailler quelques mois à la Croix-Rouge à Berlin. A son retour au pays, Sonia est engagée au service juridique du Centre Social Protestant (CSP) à Lausanne. D’inspiration protestante, cette institution défend des valeurs proches des siennes et affiche aujourd’hui une orientation plus universellement humaine, ce qui met sa clientèle en confiance. «Puisque nous ne recherchons pas la rentabilité, nous pouvons vraiment être au service de l’humain, de la cause humaine. Je ne me vois pas travailler pour un autre but.»

Je conçois les règles du droit comme un cadre de valeurs à l’intérieur duquel il y a des possibilités d’apporter sa touche individuelle. En droit de la famille, par exemple, les rapports hommes-femmes sont en pleine mutation. Le concept séculaire de famille tel que notre droit l’entend correspond de moins en moins à ce que vivent les gens. C’est là que le juriste doit trouver des solutions, en fonction aussi de ses propres valeurs. Le droit des étrangers également laisse un grand pouvoir d’interprétation aux juges et aux fonctionnaires.

L’école m’a apporté un ensemble de valeurs très fortes, une vision de l’Homme bien particulière. En sortant, j’ai eu besoin de me distancer un peu de cette vision, de voir autre chose. Je suis d’ailleurs toujours en questionnement, mais mon repère de base, c’est l’Homme tel que j’ai pu le vivre à l’Ecole Steiner. Quand je doute, je reviens à cette base.

Sonia n’était donc pas sans savoir que ses enseignants avaient une vision du monde qui leur était propre, mais le climat de tolérance et le respect de la différence qui régnaient à l’école lui ont permis de se forger ses propres vérités.

Cette pédagogie m’a nourrie. Je suis partie dans la vie avec des bagages bien remplis, avec des repères. Je n’ai pas eu besoin de chercher tous azimuts pour trouver une orientation. Je l’ai en moi.

Un texte rédigé par Elisabeth Bracher
extrait de la publication «Lebens Tüchtig» (un numéro hors-série de la revue «Schulkreis»), accompagné d’une quarantaine d’autres témoignages et disponible au téléchargement et en intégralité sur le site de l’Ecole Steiner d’Oberaargau

Note de la rédaction du blog
Pour des questions de respect de la sphère privée, et à la demande de la personne interrogée dans cet article, la photo a été retirée et le texte anonymisé (prénom modifié) en avril 2017.