Gudrun Utzinger, alors Mossiman, a été la première enseignante de l'école Steiner de Lausanne

Gudrun Utzinger, alors Mosimann, a été la première enseignante de l’école Steiner de Lausanne (photo Willi Stolz, Vevey).

Lorsque les pionniers de l’école Steiner de Lausanne ont voulu fonder une école, en 1976, il a fallu trouver des enseignants formés à la pédagogie Steiner Waldorf. Ce ne fut pas facile! Ils contactèrent Gudrun Mosimann pour la convaincre de venir travailler à Lausanne. Elle se formait alors à Berne et tenait à acquérir de l’expérience avant de s’engager dans la création d’une école en Suisse romande, ce qu’elle souhaitait ardemment. Parallèlement, un autre groupe de parents la pressait de venir travailler à Genève. Une école valdo-genevoise, réunissant les élèves des deux agglomérations à mi-chemin entre les deux villes, était même pressentie, tant la demande était pressante. C’est Lausanne qui l’emporta finalement, car elle présentait une demande plus forte, de nombreux élèves de 7-8 ans attendant déjà d’être scolarisé.

Créer une école

Gudrun arrive à Lausanne au printemps 1976 pour participer à la fondation de la première école Steiner de Suisse romande. Un conseiller délégué par l’école Steiner de Berne accompagne les travaux préparatifs dans le but de soutenir la nouvelle école. Première déconvenue: l’école prévue dans les locaux que monsieur Reymond a mis à disposition en guise de salle de classe ne conviennent finalement pas: un nouveau lieu doit être trouvé très rapidement pour accueillir l’école. La maison de La Cigale, à Vennes, est mise à disposition par la Ville. Elle doit être entièrement restaurée – la bâtisse accueillait jusqu’alors des jeunes femmes avec leur enfant en bas âge et les lieux sont insalubres. Les travaux sont entrepris dès le mois de juillet: des murs sont cassés, les autres nettoyés et tapissés, les sanitaires refaits, le jardin plein de ronces nettoyé…

Tous les parents et les membres du Comité de l’école s’appliquent à la tâche autant qu’ils le peuvent. Gudrun encourage les bénévoles et dirige les travaux alors qu’elle devrait préparer ses cours. Monsieur Kellenberger intervient: « débrouillons-nous tous seuls maintenant, elle doit se préparer pour sa future classe! ». En parallèle, les parents intéressés par l’école se pressent chaque samedi pour inscrire leurs enfants. La rentrée est différée d’une semaine pour permettre aux travaux de se terminer. Une grande fête d’inauguration a lieu à Epalinges pour célébrer l’événement. Beaucoup avouent n’y avoir pas cru, l’état de la maison étant tel qu’une rentrée la même année semblait impossible. Le rez et le sous-sol sont dévolus aux cours alors que les premier et deuxième étages sont réservés aux enseignants – Gudrun qui doit vivre sur place, le cabinet de la doctoresse Meystre, la salle des maîtres et une chambre louée à des étudiants. Dix semaines plus tard a lieu le premier Bazar de Noël.

Enseignements lausannois

Gudrun Utzinger a enseigné pendant trois ans à Lausanne, qu’elle a quitté pour élever ses enfants. Elle y a appris « à avoir confiance, en moi et dans le destin ». Quand je lui fais remarquer que cette confiance semblait acquise depuis ses jeunes années déjà, elle rit et parle de flexibilité, d’ouverture aux autres cultures. Elle a dénombré douze nationalités dans l’une de ses classes lausannoises: Suisse, Suède, Danemark, Angleterre, Allemagne, Portugal, Italie, Israël, Etats-Unis… Cette multiplicité de culture l’a enrichie, dit-elle, car il fallait s’adapter à chaque caractère différent.

« C’étaient des portes qui s’ouvraient sur d’autres cultures. J’ai appris qu’on ne pouvait pas mettre tout le monde dans le même moule et j’ai dû être tolérante vis-à-vis des parents qui étaient tous tellement différents. C’était un apprentissage de tolérance et d’émerveillement.

Vœux pour l’école

Gudrun Utzinger appelle à une meilleure prise en compte des besoins de l’enfant d’aujourd’hui. Elle me donne un exemple concret: Rudolf Steiner a écrit que les enfants de la première classe ne devaient pas aller à l’école l’après-midi. Cette règle était valable il y a cent ans mais aujourd’hui? Il vaut mieux qu’ils retournent à l’école plutôt que d’être gardés à la maison devant la télé. Lors de sa dernière expérience professionnelle – madame Utzinger a contribué à fonder l’école Steiner de la Chaux-de-Fonds, fermée après quelques années – elle a voulu que les enfants reviennent à l’école deux fois par semaine, afin de mettre en place davantage d’expériences qui lient les enfants. Elle organisait du jardinage afin d’améliorer la relation avec la nourriture. Elle a proposé des moments de danse – pas seulement d’eurythmie – afin que les enfants aient leur quota de mouvement et d’expériences physiques et musicales.

La première chose que madame Utzinger m’a dit quand j’ai sorti mon carnet de notes, c’est qu’il faut cesser de préserver les enfants du travail. Petite, elle a fait les foins et ramassé les pommes-de-terre avec les paysans du village, puis a travaillé au café du coin pour se faire de l’argent. Elle remercie ses parents de l’avoir laissée participer aux tâches quotidiennes du ménage et du commerce.

« Le travail permet d’estimer la valeur des choses qui sont là. On n’usurpe pas la jeunesse de nos enfants en leur demandant de participer à l’effort familial, on leur donne une place et des responsabilités » lance-t-elle encore.

Liberté et créativité (« On faisait tout nous-mêmes »)

« J’étais une élève modèle que l’enseignante choyait et mes parents n’ont pas voulu que je me comporte en petite fille gâtée: comme j’étais souvent fiévreuse, ma mère a profité d’un séjour de santé dans les montagnes bernoises pour tester l’école à la maison. Elle a alors pris sa décision, contre l’avis des amis de la famille, celui de la belle-famille et des voisines. »

De la 3e à la 9e classe (de 9 à 15 ans) l’école se tient en famille. Le père enseigne l’italien et le français, la mère s’occupe du reste. Gudrun, son frère et sa sœur apprennent beaucoup de choses sur le terrain. Les maths s’entraînent en faisant les comptes du commerce des parents et les travaux manuels se pratiquent au jardin. A la demande de Gudrun, la classe de religion se fait finalement à l’école du village, de même que la musique et la cuisine. La famille est très intégrée à la communauté; ils participent au chœur du village. A l’automne, les enfants vont aider les paysans à récolter les pommes-de-terre. « Mes parents devaient beaucoup travailler pour racheter la maison où ils avaient leur commerce et j’avais tout mon temps pour exercer ma créativité, une fois que j’avais fait mon travail à la maison ». Les enfants conçoivent des spectacles de marionnettes et de théâtre, des villages miniatures avec les planches et des caisses qu’ils trouvent au rebut, instaurent Carnaval dans le village. La maman est une merveilleuse conteuses et les enfants du voisinage débarquent chez les Mosimann pour profiter des contes de fée, des fêtes, des concerts impromptus. « On faisait tout nous-mêmes ». Les parents font confiance à leurs enfants, n’essayant pas de les protéger des conséquences de leurs actes, par exemple lorsque les voisins viennent gronder les bambins trop turbulents. Et les petits apprennent à se débrouiller seuls, à ranger derrière eux. La confiance des parents est un moteur formidable pour les trois enfants. Et ces derniers, qui ne sont pas intellectuellement surmenés, restent ouverts à toutes les formes d’apprentissage.

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