Portraits ?

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Dessin de Rosanne Hucher

La nier n’a guère livré de têtes, même de marbre, dont on soit sûr qu’elles n’ont jamais fait partie d’un corps.
Le genre du portrait, de la tête-débris, n’est guère plus vieux que le mot qui donna « tête » et par lequel les Romains désignaient un tesson d’argile, une brique, une tuile, une coquille ou même une écaille… Ce sont eux, semble-t-il, ou les Etrusques, leurs voisins, qui ont soudain pris goût à la fracture et qui ont inventé ce raccourci pathétique du corps entier dans la tête.
Avez-vous vu la charge d’âme, le trésor psychologique que véhiculent, sur un portrait de Rembrandt, par exemple, quelques écailles de peinture ?
Oui, nous l’avons tous vu… C’est la peinture que nous avons oubliée, transportés tout droit comme nous l’étions vers le trou que le regard peint ouvre sur le monde insaisissable de l’individu.
Oui, les élèves me l’ont dit, c’est le regard qui permet de résumer l’homme pas sa tête… Tête de pipe, forte tête, tête de turc…
Et avant la fracture ?
Qu’y avait-il avant ?
Avons-nous le droit de prétendre que les têtes égyptiennes représentées dans les tombeaux, sculptées dans le granit, sont des « portraits » ?
Ces têtes sont sur des épaules comme des soleils sur l’horizon, comme des globes sur une barque. Constamment rafraîchi par de légers battements d’ailes, leur regard est au point de départ de grandes routes qui nous traversent cependant que les arbres sont noués, les fleuves immobiles, les gestes arrêtés…
Et quand en Grèce, ils commencent à se dégeler, les gestes, à ruisseler comme neige au printemps, à frissonner de mille plissements, les regards, après avoir esquissé un sourire malicieux, se referment comme des portes et glissent parfaitement lisses, comme des lunes derrière des nuées en mouvement.
Toujours pas de portrait ! – Il y a, bien sûr, des exceptions. Il y a l’art d’Akhenaton, l’égyptien, qui frôle le portrait mais même là… qu’en savons-nous, et, pour sûr, ce n’était qu’une hésitation, prémonitoire peut-être, mais passagère, XVI siècles avant…
Comment comprendre des figures humaines de l’antiquité pré-romaine ? Au lieu de répondre, voilà quelques dessins d’élèves et voilà quelques divagations un peu trop vagues et personnelles sur quelques motifs abordés tout autrement—mais toujours sans réponse, bien sûr ! – en période d’histoire de l’art en neuvième classe : l’homme qui se met en marche, le regard qui s’ouvre—ou qui se ferme ?
Il s’agit d’aiguiser simplement sa perception, de différencier les âges, les styles, de se mettre en mouvement, nous aussi, même si le regard se ferme par instants, et, somme toute, de devenir entiers, d’avancer la tête sur les épaules, dans le corps en mouvement des images qui sont devenues les nôtres, de façon à ce que peut-être un jour un regard neuf puisse s’ouvrir quelque part !

Alain Klockenbring

Dessin de Rosanne Hucher

Dessin de Rosanne Hucher  

Dessin de Rosanne Hucher

Dessin de Rosanne Hucher

Ces trois dessins de Rosanne Hucher ont été découverts dans son cahier d’histoire de l’art de 9ème classe
publié dans la revue «La Vie de l’Ecole» de Noël 2001