Albert Grob, préparant les salades du réfectoire.

Albert Grob, préparant les salades du réfectoire.

Depuis août 2014, l’équipe du réfectoire de l’école s’est renforcée, le mercredi, grâce à un nouveau bénévole, Albert Grob. Nouveau? Pas vraiment. Avant d’accompagner ses petits enfants à l’école monsieur Grob y a inscrit ses quatre enfants, Julien, Basile, Gaspard et Clara.

Un cadre favorable pour les enfants

C’est la maman des deux aînés qui souhaitait offrir à ses enfants une éducation alternative. Albert travaillait comme enseignant dans le public depuis 1976 et il se serait contenté de l’école d’Etat. Le couple rejoint néanmoins un groupe de parents qui réfléchit à des manières différentes d’envisager l’éducation. La pédagogie Freinet est alors une solution qui enthousiasme les éducateurs. C’est alors que l’association de la garderie que fréquente Julien propose une soirée sur la pédagogie Steiner Waldorf. Adrienne Cabrol (l’actuelle enseignante des quatrième année, devenue depuis madame Dessertaine) vient présenter les travaux de Rudolf Steiner. Elle fait de grands gestes avec les bras pour exprimer l’ouverture de l’enfant à son environnement. Avec son accent du midi, elle parle du soleil qui rayonne dans le corps et l’âme des élèves. Les parents sont conquis. Albert est profondément ému par la manière dont l’enseignante parle des enfants.

Julien est admis en première classe en 1983, alors que l’école Steiner vient d’emménager sur son nouveau site à Morges, au chemin de la Longeraie (l’école a débuté en 1976 dans une ancienne villa du quartier de Vennes, à Lausanne, pour déménager à Morges en 1982, avant de s’établir à Bois-Genoud, en 1992). C’est une période difficile pour la famille Grob puisque les parents se séparent. « Nos deux enfants sont restés avec moi lorsque notre couple a éclaté. Le cadre que j’arrivais alors difficilement à assurer, c’est l’école qui l’a donné. Elle nous a offert un soutien bienveillant dont j’avais vraiment besoin » se souvient Albert. Une fille au pair est engagée pour s’occuper de la maison et des enfant, afin que le père puisse continuer à travailler. Il ajoute:

« Il y avait beaucoup d’échanges entre parents, des liens sociaux qui me faisaient beaucoup de bien. Mes fils allaient parfois dormir chez des copains et c’était un soulagement pour moi que d’avoir ces moments pour souffler ».

Les fêtes trimestrielles, célébrations et réunions pédagogiques (les « trois piliers de la communication », disaient les enseignants) favorisent les échanges entre les parents et la collaboration au sein de l’école. « Martin Rodi plaisantait en disant qu’il n’y avait jamais assez de fêtes ». Une partie de l’organisation des fêtes est confiée aux parents et le fait de partager le travail et les expériences avec d’autres familles est une nécessité pour Albert, qui vit seul avec ses garçons.

La pédagogie appliquée au secteur public

Albert apprécie beaucoup aussi les entretiens réguliers qui s’organisent avec les maîtres, lors des réunions parentales mais aussi lors des visites que les enseignants font à la maison (une tradition de l’école: les parents invitent une fois par année l’enseignante ou l’enseignant principal de l’enfant pour un repas afin de le rencontrer dans le cadre du domicile familial). « C’était bon de recevoir Annie, la jardinière d’enfants, dans la chambre du petit; elle a participé ainsi au rituel du coucher. » Cette proximité renforce la compréhension réciproque, estime monsieur Grob, qui a essayé d’appliquer autant que possible cette idée dans son travail à l’école publique, tout en étant conscient que comme enseignant c’est un engagement important et qu’une grande discrétion est nécessaire.

Enseignant d’allemand, de français, de géographie et de théâtre au secondaire, il s’est inspiré de la pédagogie Steiner pour favoriser les activités impliquant la récitation et l’oral. Il aurait aimé jouer d’un instrument avec ses élèves; sa marque personnelle à l’école d’Etat était le chant. « Ça me vivifiait et ça vivifiait mes élèves ». Il fait aussi bouger ses élèves dans la classe, pour rétablir un certain équilibre entre corps et intellect. Il remarque:

« Si je n’avais pas pu me permettre ces moments où la classe était en mouvement, je n’aurais pas pu être enseignant! Des programmes actuels veulent d’ailleurs introduire le mouvement dans la classe, pour lutter contre l’obésité, mais cette initiative va bien au-delà. »

Pour le reste, il essaie de ne pas comparer les objectifs de la pédagogie Steiner avec ceux de l’école publique. « En orthographe et en grammaire, mes enfants avaient du retard sur le programme scolaire de l’école publique. J’ai dû lâcher prise, faire confiance. La mise en place des compétences était moins rapide à l’école Steiner, mais elle était aussi plus profonde. »

Le boulot de parent

Pendant les premières années d’école de ses enfants, Albert n’a pas beaucoup de temps pour s’investir dans l’association. Il essaie d’être présent pour ses enfants, prépare des crêpes au Bazar, alimente les buffets lors des fêtes trimestrielles, respectant les demandes qui sont faites aux parents. En revanche quand l’école déménage à Bois-Genoud, il participe activement à la réfection des pavillons récupérés de chantiers genevois. Il pose le mastic autour des fenêtres et peint les boiseries avec les autres parents. C’est lorsque son deuxième fils entre en huitième — l’aîné est alors en onzième année — que le père s’implique le plus dans la vie de l’école. Il conduit également le bus qui amène quotidiennement les élèves de la gare de Renens au site de Bois Genoud.

Petit à petit, les enfants terminent leur scolarité. Julien consacre son travail de douzième année (le « chef d’œuvre ») à une recherche sur l’art brut, confectionnant des meubles grâce à des matériaux de récupération. Basile fait quant à lui une recherche sur le dressage d’un chien policier, après avoir passé sa onzième année au Canada. Le troisième fils, Gaspard, taille deux bassins pour réaliser une magnifique fontaine. Durant la réalisation de son travail, il découvre que son arrière grand-père maternel, qu’il n’a jamais connu, était tailleur de pierre — son grand-père lui transmet alors une mallette avec des outils ayant appartenu à son ailleul. Seule Clara a quitté l’école avant d’avoir complété ses douze ans d’école. « Elle avait pourtant un enseignant qui organisait des excursions extraordinaires pour ses élèves. Peut-être qu’ils sont finalement trop sortis car ma fille n’a plus eu envie de rester à l’école après cette mémorable année! »

Quand ses enfants arrivent à la fin de leur cursus scolaire, Albert lance l’idée d’un groupement rassemblant les anciens parents afin de soutenir l’école. Le GRAPA est créé par un ancien président du Comité, Henri Robert Borgeaud, ainsi que Christian Bohner. Albert Grob rejoint l’association dès le départ. Celle-ci compte actuellement 140 membres, mais peine à augmenter son effectif ces dernières années.

Jeune retraité depuis l’été dernier, après 39 ans de bons et loyaux services dans l’instruction publique, Albert Grob se consacre maintenant à son travail de grand-père. Il continue à soutenir l’école financièrement, reconnaissant d’avoir pu bénéficier d’un allégement de la contribution parentale quand il n’avait pas les moyens de l’honorer pleinement. Il découvre aussi les rites émouvants qu’il n’a pas pu vivre avec ses enfants, comme la spirale de l’Avent.

Garder la ligne pédagogique

Pour les quarante ans de l’école, Albert Grob souhaite une grande fête accueillant des délégations d’élèves et d’enseignants d’autres écoles suisses et européennes. Les rassemblements avec d’autres écoles lui ont toujours semblé très bénéfiques. Il rêve d’organiser grâce aux membres du GRAPA à nouveau les joutes sportives inter-écoles Steiner, qui n’ont pas pu avoir lieu depuis quelques années déjà.

Ce qu’il souhaite à l’école, c’est de maintenir sa ligne pédagogique, sans pour autant devenir dogmatique. Il compte sur le Collège pour être garant de la spécificité de l’école, sans pour autant refuser les évolutions. Il conclut:

« L’école publique court après la société, essaie de tendre vers elle, de préparer les élèves aux besoins de cette société. Au contraire, l’école Steiner essaie de faire des enfants des êtres ouverts. Elle ne cherche pas à les normaliser pour répondre aux exigences de l’économie. Elle doit continuer à former des enfants qui acquièrent la force d’apprendre par eux-mêmes. »