Martin Rodi et son fils Till, lorsque l'école était à Morges.

Martin Rodi et son fils Sacha, lorsque l’école était située à Morges (photo Willi Stolz, Vevey).

Ma rencontre avec Heidi et Martin Rodi date du 30 juillet. Je suis allée les trouver afin de les entendre me raconter la création de l’école Rudolf Steiner de Lausanne en 1976. Je connaissais Heidi car elle a animé l’atelier poupées, auquel je participe sporadiquement. J’avais par ailleurs entendu le nom de Martin prononcé par divers parents d’élèves et participants au séminaire pédagogique; tous ont loué son génie pédagogique et sa magnifique créativité. Notre entrevue a confirmé ces dires, de même que mon admiration pour la générosité et la rigueur de Heidi.

Heidi et Martin font partie des premiers parents qui ont scolarisé leurs enfants à l’école Steiner de Lausanne. Le couple avait longuement cherché une école offrant un programme correspondant à ses convictions; Martin avait suivi sa scolarité à l’école Steiner de Zurich et la Suisse romande n’avait pas encore d’école Steiner. La pédagogie Waldorf Steiner demeurait alors intimement liée à la pédagogie curative, appliquée par exemple à la Fondation Perceval et à l’association La Branche. Les collaboratrices et collaborateurs de ces deux institutions s’étaient réunis avec quelques autres parents pour faire connaître la pédagogie Steiner Waldorf et l’appliquer dans une école qu’ils souhaitaient créer. Quand Martin et Heidi ont eu vent de ce projet, ils se sont immédiatement associés aux pionniers de l’école pour y scolariser leurs enfants Tanja, Sacha et Till, puis Johanna quelques années plus tard.

Enseignants par accident

Martin tenait alors un atelier de graphisme. Ce travail indépendant lui permettait de se libérer pour remplacer les enseignants lors de courtes absences, puis lors de congés plus importants. Lorsqu’en 1982 la première volée d’élèves termine le cycle primaire (1re-6e classe), Martin prend la relève pour l’accompagner à travers le cycle intermédiaire (7e-8e). Martin se forme en cours d’emploi au séminaire pédagogique de Berne, tout en enseignant régulièrement le graphisme à l’Ecole des beaux-arts de Lausanne (actuelle ECAL) –«ça rassurait le Département de l’instruction publique de savoir que des enseignants de l’école pratiquaient également dans le public». Chaque professeur devait en effet obtenir une autorisation d’enseigner, même si l’école était bien accueillie par les autorités cantonales – à l’époque le conseiller d’Etat en charge de l’éducation, Raymond Junod, déclarait «l’école doit faire ses preuves, sinon elle fermera». Martin a accompagné sa dernière classe jusqu’en sixième en 2008, puis il a encore donné quelques cours avant de prendre sa retraite, largement consacrée à ses petits enfants.

Heidi a commencé à enseigner en 1978, pour seconder la maîtresse de travaux manuels (madame Mosimann, mère de la première enseignante de l’école, Gudrun Mosimann, devenue Utzinger par mariage). L’école avait proposé à Heidi de reprendre le poste mais elle hésitait, visitant des classes à Zurich pour voir comment les autres enseignants s’y prenaient. Elle se décide finalement à se charger des leçons de travaux manuels suite aux lapsus répétitifs d’une élève, qui la confond avec la titulaire du poste. Elle s’amuse à y voir un signe du destin et se forme durant toutes ses vacances d’été à la pédagogie Steiner, dans le cadre de la formation continue d’été à Avrona. Elle a continué à enseigner la couture jusqu’en 2010.

Lorsque Heidi et Martin effectuaient des remplacements à l’école, ils le faisait bénévolement. Mais lorsque Martin dut renoncer à son atelier de graphisme, le couple fit partie des «salariés» de l’école, selon le barême dit «du besoin», où «les parents payaient ce qu’ils pouvaient et les enseignants obtenaient ce dont ils avaient besoin pour vivre». Ce système de confiance a perduré jusqu’à la fin des années 1990.

Voeux pour les quarante ans de l’école: avoir le courage de se démarquer

Martin souhaite que les parents et les enseignants continuent à porter l’impulsion anthroposophique – un respect profond pour l’être humain. Il s’agit d’une vision de la vie et de l’âme qui n’a rien à voir avec les connaissances théoriques mais qui se révèle dans le faire et dans l’engagement.

Heidi poursuit sur la même voie: il faut à l’école des parents, des enseignants et des élèves qui ont le courage de se démarquer, qui ne s’alignent pas par facilité. L’école ne doit pas se soucier excessivement du regard extérieur car cela détourne les forces de la pédagogie vers des domaines stériles, vers un excès d’administration.

Les yeux pétillants, Martin et Heidi souhaitent encore à l’école qu’elle conserve son regard émerveillé et sa joie, tout en craignant qu’il s’agisse peut-être d’un vœu pieux: «à quarante ans, l’école est devenue adulte; on ne peut pas vraiment lui souhaiter de retrouver sa naïveté». En conclusion, mes hôtes s’exclament: «Le plus important c’est que ça continue; l’école doit exister pour la société, pas juste pour nos enfants».