A QUOI SERT L’ART-THÉRAPIE
par Laure Vétois

L’expression artistique est un besoin vital ; c’est la respiration de l’âme, nécessaire à tout être en quête d’équilibre. Dans la maladie, l’équilibre psychologique est atteint. L’art-thérapie ne vise pas tant à guérir, mais à accompagner, éclairer, dynamiser le patient sur son propre chemin de guérison.

L’impulsion des arts thérapeutiques a été donnée pour la première fois par Rudolf Steiner à Ita Wegman, au début du XXème siècle. L’élargissement de l’art de guérir offert par la médecine anthroposophique ajoute toute une panoplie variée de pratiques thérapeutiques allant des soins infirmiers spécifiques à la peinture en passant par la balnéothérapie, le massage, l’eurythmie, l’art de la parole, la sculpture, la musique… Le personnel soignant ainsi multiplié forme une constellation autour du patient, prenant en compte son unité corps-âme-esprit.
Durant la thérapie artistique, l’activité du moi du patient sera sollicitée et ce dernier y participera avec conscience. C’est à travers l’approfondissement des différentes disciplines basées sur le principe de changement, de métamorphose et une expérience individuelle de la couleur et de la forme qu’il va parcourir un chemin d’évolution intérieure. Le patient est guidé à travers un processus thérapeutique en fonction de sa pathologie. Quand il n’est pas en mesure d’accéder à cette thérapie avec conscience, c’est l’attitude du thérapeute qui devient un facteur thérapeutique (phase terminale, handicap profond).

En quête d’équilibre

La vie, la santé humaine sont un équilibre en mouvement, un perpétuel échange entre les contraires, si cet échange se fige, on s’oriente trop dans une seule direction et la maladie peut s’installer. En ce qui concerne les arts plastiques, il s’agit de peindre, dessiner ou modeler l’argile ; autant d’activités qui peuvent nous aider à recréer notre équilibre intérieur, gage de santé.
Aucune pratique préalable, aucune capacité particulière ne sont requises. À partir d’exercices simples l’art-thérapeute va aider le patient à faire son propre chemin dans l’une de ces disciplines ; ainsi va-t-il acquérir les forces qui l’aideront à neutraliser en lui les tendances pathologiques. Ce n’est pas le résultat qui est recherché mais bien cette activité intérieure opérée par soi-même et sur soi-même, dûment guidée par une connaissance approfondie de l’art, de la nature humaine et de la maladie, fondée sur l’anthroposophie.

Les facteurs de maladie

  • La précipitation et l’agitation, le manque de paix extérieure et intérieure, conduisent à des problèmes respiratoires et circulatoires. Les multiples impressions sensorielles que l’on ne peut « digérer » parce qu’on n’a pas le temps de les amener à la conscience (transports, télévision, jeux vidéos, ordinateur…), peuvent conduire à des troubles psychiques et des dépressions, un affaiblissement de la volonté ou une incapacité à prendre des décisions ou à entreprendre.
  • L’hyper intellectualisme, en particulier dans l’éducation, cause de nombreuses maladies sclérosantes.
  • Les frustrations dues à la mécanisation, la bureaucratie, ou la manque d’opportunités à exercer son initiative individuelle et sa responsabilité, conduisent également à un durcissement de l’âme, à la dépression et empêchent le Moi de s’élever et se fortifier.
  • La vie citadine nous coupe des forces vives de la nature.
  • Le vide des valeurs humaines et des idéaux peuvent conduire à des maladies psychiques, voire au suicide.

En complément de la médecine

À tout cela, la thérapie artistique et la pratique régulière d’une activité artistique peuvent avoir une action profonde sur notre santé et apporter des remèdes en permettant la mise en activité : mouvance des couleurs, approche des rythmes de la nature, harmonisation des rythmes intérieurs ; métamorphose des formes, développement de la volonté et de l’attention, donnant ainsi lieu à des changements subtils et profonds, ainsi qu’à une harmonisation de notre respiration et nos rythmes vitaux.
Rudolf Steiner a apporté à la médecine des idées innovantes. Par exemple, que les maladies physiques ont leur origine dans le rapport de l’âme et de l’esprit avec le corps, alors que les maladies psychiques naissent dans les organes. Voyant les choses dans ce sens, la thérapie artistique s’adresse autant aux unes qu’aux autres, constituant toujours un excellent complément au traitement médical.

Aquarelle et lâcher prise

Couleurs et formes traduisent des émotions, des sentiments dont la qualité picturale, l’expression et le geste ont une intense signification pour chacun. Les couleurs fluides de l’aquarelle favorisent un lâcher prise. À travers les formes exprimées, nous vivons un instant d’évasion où l’on peut s’abstraire de tous soucis, pour s’élever vers notre être profond. Les exercices de peinture réchauffent, détendent l’organisme et mènent à un approfondissement qualitatif du vécu de l’âme. Être apte à comprendre cette conversation entre l’expression artistique et l’être de celui qui œuvre, guider cette conversation dans le sens approprié et juste, tout en restant à l’écoute, sera la tâche de l’art-thérapeute. Il va permettre aux maux les plus sourds et divers de se faire entendre, de s’extérioriser et une fois exprimés, de ne pas les laisser vides de sens, mais de procéder à leur transformation vers une évolution, sinon guérissante, au moins constructive.
Ce sont ces « présents » répétés à chaque séance de peinture, ces instants magiques offerts par la couleur, qui permettent un processus d’acceptation et d’intégration pouvant entraîner une amélioration notable de l’état intérieur de celui qui s’y investit.

EE_10_2011_hiver-creer-guerir

Dessin et conscience

Mine de plomb, fusain, pastels : études et développement de la perspective, copie d’après nature ou reproductions de maîtres vers la juste perception des phénomènes ; polarités noir – blanc, ombre – lumière. La pratique du dessin à travers la rencontre du monde extérieur et du monde intérieur permet un éveil de la conscience. Il s’agit d’une alternance entre l’observation des phénomènes de la nature d’une part et une démarche de recherche intérieure d’autre part. Dans cette subtile alternance restituée vit l’artiste en nous. Le dessin de formes procède à un éveil de la mobilité intérieure par le tracé et le mouvement graphique, afin de développer l’imagination et rendre mobile la faculté de représentation. L’une des caractéristiques de la pédagogie des écoles Steiner est qu’elle procède d’une façon artistique et aborde tout sous l’aspect évolutif. Son enseignement est préparé dès les premières années d’école, par le dessin de formes qui exerce, déjà par le geste, les forces qui amèneront peu à peu à la géométrie. Faisant partie de l’apprentissage, il est à la base de l’écriture. Ainsi la géométrie n’est pas traitée d’une façon purement abstraite, comme si elle n’était l’affaire que de l’intellect. Elle est éveillée par la mise en œuvre des forces de volonté et peu à peu élevée au niveau de la conscience et de la pensée. Ceci est un des principes fondamentaux de la pédagogie, que l’on retrouvera à travers l’enseignement de chaque matière.
Le dessin de formes stimule et fortifie ; son action harmonisante et vivifiante rayonne jusque dans l’organisme physique. À une époque où l’intellectualisme l’emporte toujours davantage, dans les rapports humains, la culture et la technique, on a dans le dessin de formes comme dans l’eurythmie (art du mouvement), un remède d’une grande efficacité pour lutter contre les influences auxquelles sont livrés les enfants durant leur croissance et qui entraîneront ultérieurement chez l’adulte dispersion, manque de rythme, durcissement précoce, voire sclérose. C’est également un bon outil pour prévenir les troubles de la latéralité.
Dans tous ces exercices, en particulier dans les plus simples, le Moi se fortifie et s’affermit d’une manière saine. Ce moyen d’éducation, tout à fait artistique, aide l’homme à harmoniser corps, âme et esprit. Ce dessin est d’autant plus vivant que tout au long de leur scolarité, les enfants font aussi de l’eurythmie ; le travail manuel, le calcul, les sciences et toutes les autres matières sont enseignées dans le même esprit. L’aptitude que les enfants révèlent dans ce dessin, ils la doivent à l’ensemble des autres cours et, inversement le dessin de formes a un effet stimulant et vivifiant sur les autres matières.

Modelage et concentration

Le modelage permet de s’orienter, de s’adapter aux lois de l’espace dans la réalisation des formes. Son action favorise la concentration et agit profondément, jusque dans les organes vitaux et le squelette, permettant ainsi une restructuration selon des lois géométriques objectives ou au contraire une métamorphose éveillant la mobilité intérieure. Façonner les formes dans l’argile, appréhender les volumes, saisir les forces qui œuvrent dans l’espace tridimensionnel, afin d’habiter de façon plus consciente la structure corporelle et sa verticalité.
Ainsi le but n’est pas seulement de se spécialiser dans une des méthodes ou d’appliquer des techniques, mais, bien plus, d’individualiser chaque acte en fonction de la pathologie, du tempérament, de l’hérédité et de la situation présente et passée, au service du devenir de l’être. À l’instar de la pédagogie Waldorf, il s’agit essentiellement de développer les qualités inhérentes à chacun, d’individualiser chaque acte. L’artiste restituera ainsi par la forme et la couleur ce qu’il a de plus intime et précieux en lui.

La profession d’art-thérapeute

Initiée à Genève en 1996, ARTHÉA, formation en arts thérapeutiques, va ouvrir sa quatrième promotion en janvier 2012. L’enseignement à temps partiel est dispensé au rythme de dix week-ends par an, une semaine en octobre et une autre en juillet, sur quatre ans et demi. Elle prépare ses candidats au diplôme fédéral EPS, examen professionnel supérieur en art-thérapie. Cette reconnaissance de la Confédération a été obtenue avec l’intégralité du programme anthroposophique élaboré et reconnu par l’Académie Européenne déléguée de la Section Médicale du Goethéanum à Dornach. C’est ainsi que la formation Arthéa offre un enseignement anthroposophique indissociable des exigences d’État.

Laure Vétois
Le site : www.arthea.ch
publié dans la revue entr’écoles d’hiver 2011 (journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse Romande n°10)