A LA BASE DE LA MEDECINE ANTHROPOSOPHIQUE
par Guillaume Lemonde

Rudolf Steiner explique que les maladies proviennent de déséquilibres dans la relation entre la conscience et le corps. Le docteur Lemonde propose ici un extrait (adapté) d’un de ses livres, « Les pas du randonneur ».

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La possibilité de régénérer d’un animal est beaucoup plus faible que celle d’un végétal. Une branche peut repousser du moignon d’un platane, le lombric a peut-être encore la possibilité de régénérer une partie de son organisme après amputation, mais les animaux dits supérieurs ne peuvent tout juste que cicatriser. Il en va de même pour les êtres humains. Ce qui porte en nous la conscience, semble s’appuyer sur la vie comme le feu sur la bûche. Il la brûle. Plus il y a de feu et moins il y a finalement de bûches.
Tournons-nous vers tel enfant que l’on dit trop éveillé pour son âge. La conscience qu’il a de son environnement est forte. Sa pensée est occupée par une foison de perceptions. Il a perdu la fraîcheur que portent aux joues les nourrissons. La peau est pâle, sèche, les yeux sont cernés, les mouvements ont perdu en fluidité. Le corps s’est durci. De même, l’adulte et a fortiori le vieillard, cicatrisent moins bien qu’un bébé. Le feu de la conscience, avec le temps, a changé beaucoup de vie en cendre. À l’inverse, plus il y a de bûches et moins il y a de feu ; il étouffe. Plus les processus vitaux prennent de place et moins la conscience est forte. Il nous suffit d’évoquer tel enfant aux trop grosses amygdales, au nez bouché par des végétations adénoïdes (la vie végète en effet), aux glaires encombrant les bronches et le nez. Lui, il aura beaucoup de difficultés à penser et à se concentrer. Il y a donc un difficile équilibre à trouver entre feu et bûches, un équilibre subtil entre ce qui porte la conscience et ce qui porte la vie ; problème que ne connaît pas la plante.

Au service de la conscience

Ainsi, ce qui porte notre conscience s’appuie sur la vitalité du corps, comme le feu sur la bûche, de la périphérie vers le centre. C’est un geste centripète, un geste de concentration, mais aussi de retrait derrière une limite, une prise de distance indispensable à l’éveil et à la pensée. Cette activité catabolique trouve un ancrage prépondérant dans le domaine neurosensoriel ; domaine qui d’ailleurs possède une faible faculté de régénération consécutive à sa perte de vitalité.
Cependant, pour bien brûler, la bûche doit être préparée : nous la déposons au coin de l’âtre où elle sèche. Nous pourrions dire que la flamme qui s’appuiera un jour sur elle pour la consumer, la prépare au préalable. Et de cette préparation dépend sa qualité future. Un organisme végétal ne peut pas donner une assise satisfaisante à notre conscience humaine. Les organismes vivants animaux ou humains sont orientés dans leur croissance et leur maturation afin que la conscience puisse un jour s’éveiller. Les animaux et l’être humain ont en commun avec les plantes d’être doués de vie, mais chez ceux-ci, ce qui porte la conscience impose sa direction à l’organisme de vie et confère à son tour des propriétés nouvelles à la substance. La vie du corps est conduite à modeler des systèmes organiques inconnus chez les végétaux, tel le système nerveux, pour ne citer que lui.

Le double cerveau

Nous avons donc affaire à un véritable organisme de conscience qui agit sur l’aspect végétatif de l’organisme, de façon polaire :
– Il est d’une part engagé dans la vie du corps, dans la sphère métabolique, où il dirige les processus vitaux. Il exerce à cet endroit un geste centrifuge, un geste d’ouverture, indispensable à l’exercice d’impulsions volontaires, qu’elles soient instinctuelles, pulsionnelles, émotionnelles… Au plus profond du cerveau, il a ainsi différencié ce que nous appelons le cerveau ancien, celui que nous partageons avec tous les mammifères et pour les couches les plus profondes, avec les reptiles, les poissons… Il s’agit du cerveau dit émotionnel, autrefois appelé limbique, aboutissement de l’activité de l’organisme de conscience dans la physiologie du corps : l’activité cardiaque, la respiration, la tension artérielle, le système digestif, le système hormonal, le système immunitaire, etc. sont en relation avec lui.
– D’autre part, il sert la conscience de veille en prenant appui sur la vie du corps, l’épuisant, la consumant (1). Il est tourné vers le monde extérieur et la vie rationnelle.
En suivant ce geste, il a constitué autour du cerveau profond, une couche beaucoup plus récente, le cerveau nouveau ou néocortex, cerveau cognitif.
Ces deux gestes sont diamétralement opposés. Les phases cataboliques et anaboliques procèdent de gestes contraires qui s’annuleraient s’ils s’exerçaient en même temps. Une cohérence entre ces deux activités n’est envisageable que par une alternance rythmique de l’une à l’autre. Seule une oscillation entre ce qui, d’une part, va nous conduire à agir vers l’extérieur et que nous pouvons appeler la volonté et d’autre part, ce qui nous permet de prendre une distance et donc d’exercer notre faculté de pensée, peut garantir l’équilibre de ces deux extrêmes. Cette oscillation se manifeste dans la conscience de rêve de nos sentiments.

Le rôle des sentiments

Ceux-ci forment un pont, un retournement entre nos impulsions volontaires surgissant de l’inconscience et notre activité pensante, telle l’écume entre l’air et l’océan. Cette oscillation est à l’image de la marche sur le chemin. L’équilibre de notre organisme de conscience se rompt à chaque pas et il existe à chaque instant un risque d’aller trop loin d’un côté ou de l’autre.
Cette marche est celle du Je qui s’appuie sur les rythmes des processus de vie. Il s’applique à maîtriser les déséquilibres de l’organisme de conscience. L’alternance du sommeil et de la veille en est un exemple évident. Lorsque épuisés nous nous endormons, notre organisme de conscience lâche l’emprise qu’il exerçait sur la vie.
Il s’éloigne du néocortex et la conscience s’éteint. Il demeure d’une certaine manière engagé dans l’organisme de vie et il en guide la régénération. L’organisme de conscience agissant dans l’organisme de vie est alors toute activité volontaire inconsciente, en lien avec le cerveau ancien. Le rythme de la respiration, l’inspiration plus marquée pendant l’exercice de penser, l’expiration plus marquée pendant l’exercice physique, est un autre exemple de cette oscillation de l’organisme de conscience entre ces deux activités polaires. La relation du rythme cardiaque au rythme pulmonaire obéit également à ce même principe, etc. Ce sont là des manifestations corporelles de l’activité de l’organisme de conscience qui sous tend notre vie de l’âme.

L’origine des maladies

Si elle n’est pas suffisamment compensée, l’action de l’organisme de conscience sur le corps peut devenir trop forte, que ce soit depuis la sphère neurosensorielle ou depuis la sphère métabolique. Il n’y a alors plus d’oscillation possible mais déformation : une maladie s’installe. Dans ces conditions, l’organisme de conscience est potentiellement pathogène. Il est même possible d’affirmer que le seul réel facteur pathogène est l’organisme de conscience lui-même.
Dans ses fragments, Novalis décrit l’organisme de conscience (Seele), comme le plus violent des poisons. Nous avons vu en effet que c’est en déconstruisant la vie, qu’il éveille la conscience de l’animal et de l’homme. Pas un sentiment ne pourrait naître sans l’organisme de conscience, mais c’est de la vie du corps qu’il tire les éléments des sensations qu’il fait éclore. Tant que le corps est suffisamment vital pour soutenir les assauts de l’organisme de conscience, les effets de ce dernier sont correctement compensés. La vie affective reste sur le plan psychique grâce à la compensation de l’organisme de vie, sinon elle s’enfonce dans le corps physique, donnant naissance à une maladie. « La maladie ne s’installe qu’à la suite d’un sentiment assez intense pour provoquer une déformation d’organe », explique Rudolf Steiner (2). « La maladie est une vie affective anormale. »
Ainsi, tant qu’un homme est capable de maintenir ses sentiments à la conscience, il est en bonne santé et la vitalité corporelle, en compensant l’effet de l’organisme de conscience, est porteuse de santé.

L’art et l’équilibre

Comme les sentiments naissent de l’équilibre dynamique entre l’activité de perception et de pensée et l’activité de volonté, ils sont révélateurs de maints déséquilibres et de processus morbides potentiels. Il est possible d’apprendre à lire ces irrégularités de la vie affective, afin de diagnostiquer les tendances pathologiques, bien avant qu’elles ne deviennent organiquement décelables. Ceci représente une donnée fondamentale de la médecine d’orientation anthroposophique fondée par Rudolf Steiner, en collaboration avec le docteur Ita Wegman.
Le médecin aura à découvrir les remèdes pouvant restaurer l’équilibre rompu. Il aura par exemple à disposition des substances et leurs processus soutenant ou contenant les activités trop fortes ou trop faible des pôles neurosensoriels ou métaboliques (que ce soit à travers le métabolisme grâce à des produits ingérés, gouttes, comprimés, ou bien administré à travers la peau, si proche de la sphère neurosensorielle, en application cutanée, en massages, etc.) Mais absolument tout ce qui peut agir sur la conscience pourra finalement être utilisé pour la santé.
C’est ainsi que l’art, touchant de part sa nature aux sentiments, peut devenir thérapeutique : comme la peinture thérapeutique, de la musicothérapie, de l’eurythmie thérapeutique, pour n’en citer que trois.

Une pédagogie sanitaire

Et dans ce numéro d’Entr’écoles, il serait dommage d’oublier la pédagogie elle-même. La pédagogie devient pédagogie curative lorsqu’elle est destinée aux enfants handicapés, aux enfants « ayant besoin de soins de l’âme ». Mais la pédagogie tout court, grâce aux outils, aux connaissances, aux méthodes que nous offre Rudolf Steiner, permet aux pédagogues d’agir au plus près des déséquilibres de l’enfance : toute notre enfance consiste en un chemin d’apprentissage. Un long chemin pour aller de la sphère neurosensorielle dans la toute grande ouverture des premières années, jusque dans les profondeurs métaboliques ou l’on plonge vers 9 ans, puis découvrir dans d’extrêmes tensions, l’entre deux, à la puberté… Chaque instant de l’enfance, est en soi à l’image d’un potentiel déséquilibre. Le pédagogue se donne d’être lui-même tout entier le remède.

Guillaume Lemonde
Ecole Steiner d’Yverdon
publié dans la revue entr’écoles d’hiver 2011 (journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse Romande n°10)

(1) Rudolf Steiner, « Théosophie ».
(2) Rudolf Steiner, « L’art de guérir, approfondi par la méditation », Editions anthroposophiques romandes, Genève, 1987, page 31.