MEDECINES TRADITIONNELLES
par Djibril Ba

La recherche médicale redécouvre les vertus curatives des plantes. Mais il ne s’agit pas seulement de guérir, il s’agit aussi de promouvoir une alimentation saine. Le plaidoyer de Djibril Bâ, secrétaire général d’un Hôpital traditionnel à Dakar.

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Jamais dans l’histoire, l’humanité n’a été autant interpelée par les questions de sa propre survie sur Terre. En effet, dans tous les domaines de la vie, des problèmes des plus aigus se posent allant de la détérioration de l’existant jusqu’à l’apparition de faits extraordinaires. Le domaine de la santé, naturellement, n’est pas en reste. Il est d’ailleurs celui dont les problèmes sont les plus immédiats en ce sens que ce domaine est le réceptacle de tous les désordres survenus ailleurs. Il est celui qui connait le plus grand nombre de bouleversements tant sur le plan de l’intensité que sur le plan de la fréquence. Citons :

  • L’apparition soutenue de nouvelles maladies les unes plus coriaces que les autres, résultant d’une mutation insolite de microbes de leurs hôtes naturels vers l’homme, comme par exemple, le sida, l’Ebola, la grippe aviaire, la grippe porcine, etc.
  • La mutation d’anciennes maladies sous des formes plus virulentes, comme la tuberculose.
  • L’élargissement de l’éventail des maladies soi-disant modernes, génétiques ou psychosomatiques.
  • L’apparition de maladies iatrogènes, c’est-à-dire des maladies naissant par les médicaments eux-mêmes !
  • L’apparition de maladies nosocomiales – et c’est le milieu hospitalier lui-même qui devient vecteur de nouvelles pathologies.

Sur le plan pharmaceutique, simultanément, on note un accroissement du rythme de retrait de médicaments de la chaîne de distribution, suite à des accidents. Désormais, à côté des listes de médicaments retirés de la vente, on établit aussi des listes des médicaments sous surveillance renforcée en même temps que l’on émet des alertes sur d’autres médicaments réputés dangereux…

La nature et nous

Il va sans dire que ces bouleversements ont entraîné une large remise en cause de bien des certitudes à tous les niveaux, sur tous les continents. Principalement dans le domaine de la santé… Ainsi d’éminentes personnalités, telles que Gro Harlem Brundtland ou Jean-Marie Pelt, entreprennent de poser les jalons d’une meilleure prise de conscience de la part de l’homme sur sa responsabilité, totale et non partagée avec aucune autre espèce terrienne, par rapport aux évènements que nous semblons subir avec résignation, prise de conscience notamment en théorisant et développant le concept de développement durable. Remise en cause salutaire s’il en est…
Ce nouveau concept, le développement durable, enjoint finalement à l’homme de comprendre qu’il est un élément, parmi tant d’autres d’égale dignité, de la biodiversité, comprendre qu’il n’en est point le maître, de comprendre que «ce qui compte vraiment dans la sauvegarde des condors et de leurs congénères, ce n’est pas tant que nous ayons besoin des condors, c’est que nous avons besoin de développer les qualités humaines qui sont nécessaires pour les sauver, car ce sont celles-là mêmes qu’il nous faut pour nous sauver nous-mêmes ».
De façon plus pratique, on se pose bien la question de savoir si
– la profusion de maladies réputées incurables, notamment les cancers qui menacent au premier chef la population active mondiale, autrement dit la frange la plus productive dans tous les sens du terme de l’espèce humaine,
– les calamités naturelles de plus en plus dévastatrices aux quatre coins du globe ne traduisent pas les contrecoups d’une «utilisation » inconsidérée de la nature, ou sa punition contre les interventions amorales de l’homme à son encontre, ou encore, tout simplement, les conséquences de ruptures d’équilibres découlant de l’extinction d’espèces naturelles…

Le leurre médical

Plus particulièrement, pourquoi les microbes délaissent-ils leurs hôtes naturels pour s’attaquer à l’homme ? Pourquoi, par exemple, le virus du sida, hôte naturel du singe, a-t-il éprouvé le besoin de venir habiter le corps humain ? Pourquoi les microbes sont-ils devenus plus méchants, plus que de raison, à notre égard ? Pourquoi les médicaments sensés guérir rendent-ils plutôt malades ? Pourquoi le milieu hospitalier aseptisé est-il devenu un réservoir de microbes ? Quelle est la cause de ces nouvelles maladies ?
Nous nous demandons si ces questions ne constituent pas une invite à sortir de notre torpeur, la torpeur dans laquelle nous a précipités l’essor fulgurant de réussite, l’écho retentissant de succès de la médecine dite moderne. Une torpeur qui charrie un sentiment lénifiant de sécurité et de confort, tel un leurre ! Car la méthodologie de cette médecine préfigurait bien une course sur les toits, qui devait nécessairement prendre fin, de gré ou de force. En effet, saurait-il y avoir une issue heureuse à cette démarche qui consistait d’abord à isoler les principes actifs des plantes, puis à en faire des copies artificielles ?

Hommage aux visionnaires

Il est tout aussi permis de nous demander si ces personnalités qui nous interpellent ne nous demandent pas tout simplement de nous réconcilier avec la Nature. D’autres personnalités avaient choisi de faire œuvre de pionniers, lançant des expériences concrètes qui attestent de leur qualité de visionnaires sans équivoque aujourd’hui. Nous citerons parmi celles-là feu le Professeur Yvette Parès qui fut au départ d’un challenge époustouflant, unique sans doute au monde, avec la fondation de l’Hôpital Traditionnel de Keur Massar au Sénégal qui était aussi une entreprise téméraire, car il s’agissait de braver la loi qui interdisait, sur le plan officiel tout au moins, la pratique de la médecine traditionnelle pour sauver justement le maximum de personnes à la marge du système sanitaire officiel… mais aussi une œuvre où la plante en tant que totuum végétal retrouverait toute sa noblesse. Toujours au titre de ces expériences concrètes, nous pouvons également citer l’association française, Jardin du Monde. Nous retiendrons que ces expériences militent en faveur de la réconciliation de l’homme avec la nature, donc avec les plantes. Simple question de bon sens, peut être… En effet, l’homme a, au courant des siècles, su trouver auprès de Dame Nature, voisine généreuse et profuse, des ressources pour concevoir des produits les plus divers tant du point de vue de leur forme que de leur destination pour prendre en charge ses préoccupations en matière de santé. Et nous ne devons pas oublier que, très fréquemment, ce patrimoine épouse très largement les contours de son ancienne alimentation au vu de la coïncidence entre plantes comestibles et plantes médicinales.

Redécouvrir les traditions

En quoi les plantes constituent-elles une nouvelle espérance pour la santé de demain ? Est-ce à dire que l’humanité en est arrivée à oublier la richesse inouïe que les générations d’hommes et de femmes ont constituée au fil de leur compagnonnage avec les plantes et dans la nature ? Comment se fait-il que l’on ait oublié à ce point notre dépendance atavique et multiséculaire vis-à-vis des plantes quant à notre nourriture, notre vêtement, notre habitat et notre santé ?
Si les plantes ont cessé dans certaines parties du monde d’être un fondement d’espérance de santé et pour rester le seul recours dans d’autres contrées, ce n’est assurément pas la faute à la seule médecine dite moderne si on devait lui imputer une parcelle de responsabilité… La faute en incombe au premier chef à l’Homme. Car l’histoire nous enseigne nombre de fois où nous autres hommes, de par notre comportement orgueilleux et egocentrique, nous nous sommes mis dans une fâcheuse position de provoquer la Nature et donc le Seigneur, notre Maître et celui de la Nature, aussi. Il ne peut s’agir d’une découverte des bienfaits des plantes en matière de santé, mais tout au plus d’une redécouverte. Ou d’un appel ayant pour objectif l’enrichissement des pratiques et approches traditionnelles fondées sur les savoirs anciens concernant les plantes, savoirs développés au sein de communautés diversifiées en s’inspirant du progrès scientifique et technique pour promouvoir des phyto-médicaments ou pour concevoir de nouveaux produits pharmaceutiques. Ou mieux encore, le sceau d’une nouvelle relation entre ce que l’on a coutume de désigner par ethnobotanique et la recherche scientifique et technique… Toujours est-il que les plantes retrouvent leur pole position ; les succès dont elles sont créditées dans les traitements de plusieurs pathologies ne se comptent plus. Tout se passe de nos jours comme si l’homme redécouvrait les plantes. Et il est très heureux de pouvoir mettre ce nouvel engouement pour les plantes en corrélation avec les nouveaux appels pour une alimentation saine, une agriculture bio et un mode de vie plus proche de la Nature. Cette corrélation est très importante. Notre monde est à un carrefour de son évolution. La raison commande de changer d’optique.

Une Plante est un Tout

Un fait mérite d’être rappelé. La médecine dite moderne nous a valu beaucoup de victoires sur les maladies, victoires qui ont permis de sauver nombre de vies humaines. Une erreur serait, là encore, de ne privilégier que les propriétés médicinales des plantes. Car les plantes ne sont qu’un élément d’un tout qui forme l’Univers et leurs propriétés médicinales ne sont qu’un des aspects de leur nature, de leur utilité. Un Tout composé de diverses parties contribuant chacune de façon unique à l’équilibre du monde tel que nous l’avons du moins reçu des générations précédentes et non pas tel que nous l’avons changé aujourd’hui à notre grande désolation au point de nous émouvoir de la situation dans laquelle nous la transmettrons aux générations futures. En effet, les plantes, à elles seules, peuvent-elles relever les défis actuels en matière de santé ? La santé est plutôt une réalité multiforme. Et puis, comment concilier la localisation limitée géographiquement des plantes avec la globalisation des pathologies ? Déjà, nous en voyons les résultats effrayants induits par leur surexploitation dans certains pays où l’écrasante majorité des populations n’a pas accès, géographiquement ou financièrement, aux structures sanitaires modernes, et encore moins aux médicaments dits essentiels et ne recourent de ce fait qu’à la phytothérapie traditionnelle.
Il s’agit plutôt, à notre humble avis, d’être davantage conscient des équilibres de la nature et d’essayer de restaurer ceux que nous avons rompus, sciemment ou non. Cela ne nous empêche pas de nous demander si la nature a vraiment besoin de notre aide… elle qui fut créée par le Seigneur au soir du troisième jour cependant que l’homme ne le fut qu’au bout du sixième jour…

Le corps et l’âme

Pour notre part, les plantes resteront tant qu’elles existeront un recours de premier choix contre les maladies de l’homme. Encore faut-il que l’homme se donne les moyens de conserver sa santé en minimisant les risques de la perdre. Sans doute faut-il privilégier le préventif au curatif dans le cadre d’une nouvelle approche thérapeutique qui donne la même importance au corps qu’à l’âme. Le corps n’est-il pas le messager de l’âme ?
Or la meilleure des préventions réside dans une vie saine, dans un mode vie plus conforme à la nature. Veiller davantage sur ce que l’on mange, sur ce que l’on boit, sur ce qu’on respire, sur tout ce qui concourt à la vie… non pas seulement des êtres humains, mais de l’univers… Bref, si nous voulons que les plantes puissent jouer pleinement leur rôle et répondre présent à chaque appel de la nécessité, il faudrait bien qu’elles se retrouvent, dans tous les sens du terme, dans nos corps, les corps des hommes !

Djibril Ba
Hôpital Traditionnel de Keur Massar (Sénégal)
publié dans la revue entr’écoles d’hiver 2011 (journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse Romande n°10)