J’ai mentionné, au début de l’article précédent dans la Vie de l’école (Saint Jean 2001), une des préoccupations continuelles de l’enseignant : celle de s’adresser à toutes les facultés de l’âme, et non uniquement à l’intellect, de sorte que l’élève puisse les exercer toutes et les développer en harmonie les unes avec les autres.

Dans la géométrie telle qu’elle est enseignée dans les écoles Steiner l’élève est amené à dessiner beaucoup, d’abord à main levée, puis à l’aide des instruments. Cela peut être une école du mouvement et, surtout, des facultés de perception de ces mouvements. Cela est pendant longtemps une école de l’esthétique où le beau devient un avec le juste. Puis vient le moment dans les classes moyennes où il faut, à partir des images tracées et ressenties intérieurement par les élèves, stimuler la force de jugement dont l’éveil s’annonce autour des 12 ans.

Il s’agit dès lors de développer des concepts mobiles. Que peut-on entendre par là ?
En quatrième classe nous abordons les figures géométriques. Les élèves apprennent par exemple à reconnaître les triangles isocèles. Qu’est-ce que c’est un « concept mobile » de ce triangle ? Je pense que c’est celui qui nous permet de l’identifier quelque soit sa position, sa taille et sa forme. Il y a de nombreux élèves qui tout d’abord ne peuvent les reconnaître que lorsque la base du triangle isocèle est horizontale.

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C’est pour permettre aux élèves de développer des concepts mobiles que l’on abordera un sujet de manière répétée sous des angles nouveaux.

De la 6ème à la 8ème classe, le sujet principal de la géométrie est le théorème de Pythagore. L’école de Pythagore, qui vivait au 6ème siècle avant J.Chr., exerçait une grande influence sur l’évolution spirituelle. Dans son enseignement, la mathématique jouait un rôle déterminant. Le mathématicien était quelqu’un qui employait ses forces pour résoudre les énigmes de l’existence. Les nombres correspondaient à des figures géométriques, mais aussi à des qualités d’âme. Ils étaient mis en relation avec les sons, les éléments ou encore les corps célestes et l’harmonie des sphères.

Comment approcher cette perle de la géométrie qu’est le théorème de Pythagore de manière à ce que les élèves puissent le vivre le plus intensément possible ? Avant d’atteindre réellement ce sommet, il y a un long parcours. Il faut que l’élève ait intériorisé ce que sont les propriétés des différents triangles et des quadrilatères. Il faut qu’il connaisse plus particulièrement le triangle rectangle, sache suivre un raisonnement et qu’il ait une réelle connaissance de ce qu’est une surface et le calcul des surfaces. En fait, pour ne pas amputer le théorème de sa qualité formatrice, on ne peut parvenir à sa compréhension qu’après l’avoir longuement préparée durant des années.


 

Comment Pythagore découvrit son théorème (d’après Guido Hauck)

Il y a longtemps, à proximité de la ville de Croton, une colonie, appelée Trigonia, ne se composait que de triangles rectangulaires. Chaque triangle avait une hypoténuse et deux côtés adjacents, appelés cathètes, qui, ensemble, formaient un ménage. La maîtresse de maison était l’hypoténuse. Certains de ces triangles étaient isocèles et faisaient partie de la noblesse. Chez les autres les cathètes avaient des longueurs qui différaient.

Un jour dans un des ménages de la noblesse une dispute éclata entre l’hypoténuse et ses cathètes. Les cathètes déclarèrent qu’elles ne voulaient pas continuer à se faire tout dicter par l’hypoténuse. Les deux ensemble seraient plus longues que l’hypoténuse. Et de toute manière elles seraient responsables de la qualité la plus grande du triangle rectangulaire, puisque c’étaient elles qui formaient l’angle droit. L’hypoténuse se défendit en insistant sur le fait que c’était elle qui tenait en place les cathètes et que sans elle l’angle droit se perdrait vite.

A cette époque un sage du nom de Pythagore vivait à Croton. C’était un grand ami des triangles, et il faisait chaque soir une promenade à Trigonia, où il s’occupait de ses amis. Ce soir là, il vit qu’il y avait de la dispute et lorsqu’il entendit le bruit, il s’arrêta et voulut en savoir la cause . On lui raconta, il songea un moment, puis il dit : « Ce ne sont pas vos longueurs qui comptent, mais votre valeur intérieure. Si je dois arbitrer votre dispute, alors vite, je dois vous voir travailler. Mettez donc vos tabliers et à l’œuvre ! »
Les adversaires s’étonnaient et s’écriaient : « Des tabliers, nous n’en avons pas ! »
Mais Pythagore dit : « Comment ? Pas de tabliers ? Venez donc avec moi ! Nous allons chez le tanneur. Je vais vous procurer des tabliers. »
Cependant le tanneur n’avait plus de morceaux assez grands pour coudre un tablier raisonnable. Il n’y avait plus que des restes qui étaient tout au plus de la taille du triangle.
« Cela ne fait rien  », s’amusa Pythagore, « on va les assembler en cousant. Et pour avoir des morceaux identiques nous prenons le triangle lui-même comme patron. » Ainsi dit, ainsi fait. Il découpa huit morceaux de cuir sous forme de triangles rectangulaires, de la taille du modèle. De ces triangles il en prit quatre et les cousit ensemble de sorte que les hypoténuses étaient situées vers l’extérieur. Il obtint un carré, dont l’hypoténuse formait un côté. Il offrit ce tablier à l’hypoténuse. Ensuite il prit le reste des peaux découpées et assembla deux fois deux triangles en cousant les hypoténuses ensemble et les attacha aux cathètes (fig.1) . Puis il dit : «  Regardez vos tabliers. Vous voyez bien que ceux des cathètes comme celui de l’hypoténuse sont formés par 4 triangles. Vous avez donc la même valeur. Rentrez chez vous et vivez en paix. Ils rentrèrent chez eux, les tabliers flottaient dans le vent comme des drapeaux, ce qui plut aux triangles moins nobles. »

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Ils vinrent donc trouver Pythagore, pour lui demander des tabliers à leur tour. Pythagore se gratta le crâne, puis dit : « Hm, cela ne va pas être si facile, car les longueurs de vos cathètes ne sont pas les mêmes. Mais essayons tout de même! »
Il amena les triangles chez le tanneur, utilisa de nouveau les triangles comme patron, en découpa huit, puis en assembla quatre par la couture comme auparavant. De nouveau il obtint un carré, mais au milieu resta un trou, qui avait la forme d’un carré dont la longueur des côtés correspondait à la différence de longueur des deux cathètes (fig. 2). « Ca ne fait rien  », dit Pythagore, “ on trouvera un morceau, pour boucher ce trou ”. Il assembla deux par deux le reste des triangles en cuir et obtint, évidemment deux rectangles et non pas des carrés. (fig. 3)

Mais Pythagore n’en fut nullement perturbé. Il attacha les tabliers aux ceintures des cathètes et dit : « Un des tabliers est trop long, l’autre trop court (fig. 4). Il nous faut équilibrer les longueurs. » Il découpa un morceau (fig. 5) de l’un des tabliers et l’attacha à l’autre. De cette sorte les deux tabliers devinrent carrés. Seulement un des tabliers avait encore un trou dans un coin.(fig. 6)

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Lorsque Pythagore examina le trou, il dit : « Ah, ce trou a la même forme que celui du carré de l‘hypoténuse ». Il les boucha tous les deux par un bout de cuir (fig. 7). Puis il devint sérieux, réfléchit, puis soudain il fit un bond : « Les deux carrés des cathètes sont formés par les mêmes morceaux que celui de l’hypoténuse. J’ai donc prouvé que pour tout triangle rectangle le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des cathètes. C’est ce qu’on appelle le théorème de Pythagore. Vous pouvez en être fiers. Retournez chez vous et racontez-le partout ».

Joyeusement le triangle alla montrer ses tabliers neufs à tout le monde, partout on scandait l’énoncé du théorème de Pythagore et de partout on accourait pour se faire offrir un tablier.

Pythagore déclara : « Toutes les peaux sont utilisées. Il faut en chercher des nouvelles. Laissez-moi faire ». Il acheta des bœufs, fit la boucherie et apporta les peaux chez le tanneur qui fabriqua des tabliers. Puis Pythagore invita ses amis à une fête en l’honneur des dieux et passa une joyeuse nuit en leur compagnie. Les triangles cependant composaient des louanges pour Pythagore et chantèrent :

Voici le théorème de Pythagore,
Prouvant ce que les tabliers valent
Il vaut pour les hommes de l’or
Seuls les bœufs s’en portent mal.

Voici le théorème de Pythagore
Qui prive les bœufs de leur vie.
Si tu ne veux partager leur sort
Etudie-le avec zèle et envie.

Traduit de l’allemand
par Andreas Niedermann
du livre de Arnold Bernhard « Géométrie » 1993


 

Un des chapitres permettant de rendre abordable ce théorème est celui de la “métamorphose” des formes.
En font partie les exercices de symétries déjà abordés.
Puis nous abordons les transformations qui changent la forme mais gardent la surface :

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Nous pouvons transformer un polygone en un triangle, tout en gardant la surface :

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Ou encore changer les surfaces mais pas les formes et découvrir la proportionnalité :

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A travers de multiples exercices l’élève acquiert au fil des années une notion de ce qu’est une surface et l’équivalence des surfaces.

Lorsqu’on abordera le théorème de Pythagore de cette manière, l’élève aura saisi son énoncé, compris sa démonstration et vérifié, pourquoi pas, par le calcul sa justesse. Il saura mettre en mouvement son imagination, (car c’est de cette faculté que nous aimerions voir son jugement enrichi) pour le comprendre sous forme d’image telle qu’elle est en exemple présentée ci-après.

Andreas Niedermann
publié dans la revue «La Vie de l’Ecole» de Noël 2001