Triangle croissant par un élève de 11e classe

Triangle croissant par un élève de 11e classe

Il m’est parfois arrivé d’amener en classe des livres d’arts visuels et d’en montrer quelques pages aux élèves. Pourquoi cela dans un cours de mathématiques? L’une de mes motivations est que les arts visuels permettent de transmettre facilement l’idée qu’il existe de nombreuses manières de travailler et de créer. Les élèves voient bien qu’il y a une grande différence entre un peintre de la Renaissance et un peintre cubiste. Il y a toute sorte de peintures possibles.

De manière semblable, les mathématiques sont composées d’éléments de diverses natures. Par exemple, il est clair qu’additionner, soustraire, multiplier ou diviser des polynômes entre eux ne pose aucune vraie difficulté. En effet, il suffit de respecter les algorithmes appropriés. Une fois ces derniers bien maîtrisés, il n’y a même plus besoin de réfléchir! Mais ces opérations sont des processus qui demandent patience et rigueur (ou un ordinateur…), ce qui n’est pas toujours facile pour tous les élèves. D’un autre côté, il est aussi possible et nécessaire de faire des mathématiques nécessitant de l’imagination et de la créativité. Le résultat en est alors parfois quelque chose de particulièrement beau. C’est le cas durant la période de géométrie projective de la 11e classe qui vient de se terminer.

Avant de présenter cette merveille, rappelons rapidement que la géométrie projective se différencie de la géométrie euclidienne par son utilisation de points que l’on imagine situés à l’infini. Un article de Frédéric Faes explique bien que de tels points sont tout-à-fait naturels. Ainsi, toute droite contient un point situé à l’infini, et ce point est le même quel que soit le sens dans lequel on parcourt la droite. Ce point à l’infini a la propriété de se trouver sur toutes les droites qui sont parallèles entre elles. Ce qui entraîne le constat suivant: si d et d’ sont des droites distinctes du plan, alors ces droites admettent exactement un point d’intersection. Cette propriété de la géométrie projective peut faire penser à l’un des axiomes de la géométrie euclidienne: si P et P’ sont des points distincts, alors il existe exactement une droite qui contient ces deux points. Plus précisément, ces deux propriétés sont semblables si nous échangeons les mots « point » et « droite ». En poursuivant les recherches, nous pouvons énoncer le théorème suivant.

Théorème de dualité dans le plan

Pour tout théorème de géométrie projective concernant des droites, des points et leurs positions relatives dans un plan, il existe un théorème dual que l’on obtient en échangeant

  • les points et les droites
  • l’intersection et la réunion
  • le fait de contenir avec le fait d’être contenu.

C’est un théorème magnifique (les élèves disent «intéressant» et «marrant»). Et il montre bien que la géométrie projective donne le bon point de vue sur certaines propriétés géométriques. Cela montre également qu’il est bon de savoir prendre un autre point de vue.

A titre d’exemple, notons que le

Théorème de Pascal
Considérons un hexagone inscrit dans un cercle. Alors les points d’intersection des côtés opposés sont alignés.

est le théorème dual du

Théorème de Brianchon
Considérons un hexagone circonscrit à un cercle. Alors les diagonales sont concourantes.

Par ailleurs, le théorème de dualité montre que les points et les droites jouent un rôle équivalent dans le plan. Par exemple, cela veut dire qu’au lieu de comprendre un plan comme un ensemble de points, on peut comprendre un plan comme un ensemble de droites. Ce qui est une conception du plan moins usuel!