La Doctoresse Michaëla Glöckler évoque l'ancrage de la santé, s'exprimant en allemand. Danuta Perennès assure la traduction française.

La Doctoresse Michaela Glöckler évoque les terrains favorables à la santé, s’exprimant en allemand. Danuta Perennès assure la traduction française.

Le 11 mai Michaela Glöckler, pédiatre et médecin d’école, à la tête de la section médicale du Goetheanum, à Dornach, a présenté le concept de salutogenèse à une septantaine de personnes. Je me bornerai à évoquer ici sa présentation des fondements de la salutogenèse, apprêtée de quelques anecdotes.

La salutogenèse répond à la pathogenèse (ce qui crée des maladies), sur laquelle est fondée la médecine depuis plus de 300 ans. Plutôt que de considérer la santé comme l’absence de pathologies, la salutogenèse se concentre sur les fondements d’une bonne santé. Le terme tient son origine du latin salus, la santé, et du grec genesis, l’origine; il s’agit donc d’étudier comment naît la santé.

C’est une notion récente: la première chaire d’enseignement en sciences de la santé a été créée en 1975 à l’université de Bielefeld (Allemagne) et le terme de sciences de la santé n’a émergé que dans les années huitante. Jusque là, la médecine ne se penchait pas sur le sujet et Mme Glöckler se souvient:

Lorsque j’ai passé mes examens de médecine en 1978, aucune question ne concernait la santé, pas une seule.

Une notion créée par Aaron Antonovsky

Les précurseurs du domaine apparaissent après la seconde guerre mondiale seulement (si on met de côté Rudolf Steiner) et c’est l’américain Aaron Antonovsky qui crée la notion de salutogenèse. Le sociologue de la médecine, qui a émigré en Israël dans les années 1960 pour travailler à l’université hébraïque de Jérusalem, rencontre des femmes de tous les milieux et s’étonne que les survivantes des camps de concentration se portent aussi bien, voire mieux que d’autres. Ils s’attendait à découvrir des femmes détruites dans leur âme et dans leur corps mais elles se révèlent souvent être des personnes actives, curieuses, positives, ouvertes, malgré les violences subies. Cela semble contredire tous les principes de la médecine et il se met à se questionner sur l’apparition de la santé.

Dans la pensée d’Antonovsky trois « sources » sont nécessaires pour permettre une bonne santé tout au long de la vie; elles devraient être activées avant l’âge de 25 ans.

  • Le principe de la compréhension (comprehensibility) (la tête): chacun doit pouvoir comprendre les circonstances de sa vie, les ordonner et en faire quelque chose de compréhensible afin d’avoir une image cohérente du monde. Le sentiment de ne pas comprendre l’univers rend en effet malade (Antonovsky disait qu’un enfant ne devrait jamais rentrer de l’école sans avoir le sentiment d’avoir appris quelque chose, sans avoir un nouvel enseignement à raconter).
  • Le sentiment de sens (meaningfulnss) (le coeur): il faut pouvoir trouver dans les événements un sens, pouvoir déduire des enseignements de cette expérience. La personne doit pouvoir aussi trouver son compte dans ce qui arrive. C’est un vécu primaire, qui tient plus du ressenti que de l’intellect. Antonovsky parlait, en anglais, de « coping strategy ». Ce qui est compris est rempli de sens et les informations sont digerées; la personne peut ainsi se sentir libre et s’éveiller à sa responsabilité dans le développement de l’humanité.
  • La notion de capacité, de savoir-faire (sense of manageability): chacun doit pouvoir être convaincu de sa capacité à pouvoir résoudre les difficultés rencontrées. Il s’agit d’une assurance que l’on dispose des ressources pour faire face aux exigences de la vie:

je maîtrise, je peux faire les choses, j’ai les moyens d’agir sur le monde.

Ces trois piliers permettent d’obtenir un sentiment de cohérence (sense of coherence). S’y ajoute une condition inaliénable à la bonne santé: avoir pu évoluer jusqu’à dix-huit ans dans un univers favorisant l’apprentissage, un espace protégé permettant d’apprendre et de développer ses propres ressources de santé (une exigence absolue selon Antonovsky).

Antonovsky fait ce constat d’un être humain en bonne santé mais ne dit pas comment le devenir. Il laisse cette question aux pédagogues. Michaela Glöckler présente donc une voie favorisant le développement sain de l’enfant et l’acquisition de ce sentiment de cohérence. Cette application fera peut-être l’objet d’un deuxième article dédié à la salutogenèse. Je laisse aux enseignants de l’école le soin de présenter ces concepts très pointus. Je reprends néanmoins ici quelques idées qui ont été évoquées lors de la conférence.

Travailler le samedi et célébrer les apprentissages aussitôt

La semaine à cinq jours n’est pas favorable, selon les principes anthroposophes; cette semaine avortée endommage le système rythmique. Le cinq n’est pas aboutit, il a besoin d’une étape suplémentaire, le six, pour clore le cycle et aboutir à la journée de repos qu’est le dimanche. Dans cette perspective, il est nécessaire de reprendre le travail le samedi matin. Regrouper les élèves pour un travail en commun pendant les heures matinales. Le travail peut ainsi se terminer et l’enfant peut se reposer le lendemain.

Le rythme mensuel est crucial aussi: la pédagogie Steiner implique que l’enseignement d’une matière s’étend sur une durée de quatre semaine, durant lesquelles les deux premières heures de la journée sont dédiées à la même thématique, de manière à ce que les élèves puissent s’immerger dans une discipline puis l’oublier, laissant son contenu sombrer dans le subconscient où il continue d’agir pour rejaillir à la prochaine période. Et chacun de ces cycles (ou « cours blocs ») devrait se terminer par une fête trimestrielle. L’instauration de ces périodes de quatre semaines et des célébrations qui les cloturent est difficile à respecter; rares sont les écoles en mesure de la mettre en oeuvre. Mais Michaela Glocker a appris que l’école Sekem, en Egypte, est même parvenue à instaurer une fête hebdomadaire pour les élèves de l’école. Cette fête permet de donner vie aux apprentissages. Chacun peut présenter sur scène ce qui a été étudié dans la semaine.
http://www.sekem.com/

Par « période », Michala Glockler n’entend pas l’accumulation de cours d’une même matière prolongés sur un mois, mais une cohérence des apprentissages autour d’un même thème. Par exemple, lorsque la septème classe se penche sur la santé et la nourriture, c’est une occasion tout à fait opportune de présenter les principes de l’économie – le transport de matières d’un lieu où elles sont en surabondance vers un lieu où on en manque. La période (Epoque pour les germanophones et block lesson pour les anglophones) est alors davantage l’éclairage d’un concept par différents points de vue qu’une matière qui est étudiée sur une longue durée. L’interdisiplinarité est essentielle ici. Les enseignants doivent se rassembler, réfléchir aux idées phare de l’année qui s’annonce et élaborer ensemble le contenu du cours.

Retourner les schémas: soigner les objectifs plutôt que de constater les progrès

Une idée folle qui tente Michaela Glocker: rédiger les bulletins scolaires, qui sont traditionnellement écrits et remis en fin d’année, avant de commencer le semestre. Tout enseignant doit se donner des objectifs pédagogiques, de la même manière que chaque médecin doit avoir un but thérapeutique. « Quel but d’apprentissage pour cet enfant? » doit se demander le pédagogue, plutôt que de constater l’évolution de l’élève par rapport aux objectifs de la classe. En principe les interlocuteurs de madame Glocker sont attirés par l’idée. Mais aucun ne l’a encore mise en pratique!

Pour en savoir davantage

A propos de Michaëla Glockler

Un résumé d’une conférence donnée par Michaëla Glockler en 2001, en anglais

Un article dans les archives de La Plume (28.11.2011)