Journées pédagogiques des 2 et 3 mars 2001 à Bois Genoud

Eurythmie avec Madame Sylvia Bardt,
professeur à Stuttgart, auteur du livre L’ENFANT EN MOUVEMENT— Pratique de l’eurythmie dans les écoles Steiner, Triades 2000

Par son travail étonnant et très touchant, Madame Bardt nous a offert de vivre des journées pédagogiques chaleureuses et tout à fait extraordinaires, placées sous le signe de l’engagement et de la mobilité. Le contenu de l’enseignement et la manière de le dispenser formaient un tout.

PRESENTATION

Le vendredi soir nous étions 35 personnes, le samedi 50, dont une brochette d’eurythmistes, un groupe de professeurs et une vague de parents, à nous retrouver dans la grande salle.
Arrivant en retard, j’entends jusque dehors fuser de grands rires !
Madame Bardt ne perd pas une minute. Rien de linéaire dans son approche: chaque situation ainsi que les changements d’exercice sont prétextes à rester vigilants (« Suivez mon trajet avec tout votre corps et sur place », ou « quand je serai en haut de ces trois marches, vous aurez formé un grand cercle »,…)
Elle bannit l’ennui de ses cours. Madame Bardt saisit tout ce qui est en train de se passer pour étayer sur le vif ses propos. Nous avons profité de son humour (histoire drôle d’oubli de pantoufles… rappel des noms à partir des couleurs des vêtements…)
Lors d’exercices rapides, elle a su nous montrer comment respiration calme et tranquillité assurent et rendent possible la vitesse. Restant immobiles alors que d’autres se déplaçaient, elle nous a proposé d’expérimenter « l’économie ». Quelle nouveauté de vivre aujourd’hui cette « économie » par le corps !
Assis un moment pour un temps d’échanges, nous avons alors éprouvé la pesanteur et la fatigue de cette position (pauvres élèves, tant assis !)
Nous avons aussi formé des doubles rondes interactives. Il fallait rester réveillés pour suivre le trou mobile laissé par les collègues et y passer au bon moment ! Nos cercles ont dialogué.
Nous avons puisé à la même source que la musique, exécutée par Madame Taillebois. Dans certains exercices, nous nagions dans le groupe, portés par le mouvement général. Dans d’autres, nous ne pouvions plus suivre le mouvement de personne ni d’aucun groupe, à part le notre !

TRAVERSEE DES DOUZE CLASSES EN EXERCICES

Jamais lassés, nous découvrons les différents exercices pratiqués dans les douze classes.
En 1ère classe, nous allons rire et jouer, à gauche, à droite, sous des chapeaux pointus !
Nous développons pour les petites classes des exercices d’écoute. Quelqu’un frappe dans les mains, et nous, les yeux fermés, cherchons à l’identifier. Nous exerçons les rythmes en battant des mains, des pieds, du nez,… des cils.
Dans les moyennes classes, sur un beau passage du « Conte du serpent vert » (Goethe), nous vivons des –L– qui s’étalent et des –B– enrobés. Divisés en grands groupes nous avons « modelé » d’immenses voyelles dans tout l’espace de la grande salle. Puis nous les avons pratiquées de deux façons géométrique et intériorisée ( L angle; A geste de l’âme). Nous avons fait deviner à l’un de nous, sorti du groupe, la manière choisie. La personne trouvait sans hésiter. « C’est un début de clairvoyance ! » remarquait Madame Bardt.
Pour la 8ème classe, nous avons recherché des mouvements très expressifs et extrêmes pour vivre la tristesse, le désespoir, l’intelligence rusée, et d’autres gestes d’âme, éclairant le vécu contrasté des jeunes entrant dans l’adolescence; tombés sur le sol, les chutes nous montraient qu’il n’est pas possible d’aller plus bas, et il ne nous restait qu’à nous prendre en main pour nous relever.
En 9ème classe, affalés, hypersensibles, nous avons pour ainsi dire retrouvé à l’octave, mais plus étoffé, plus accordé, le thème (déjà vu lors du passage du « Rubicon » en 3/4ème) de la rencontre avec le monde. Les exercices mélodiques deviennent harmoniques, les accords sont perçus comme des mélodies vues en couches. Les accords mineurs nous ont fait ressentir et prendre le monde en nous : nous reculions; les accords dissonants, sur un même son, nous poussaient à avancer et revenir sur nos pas. A travers un poème, nous avons été amenés à manifester les différents éléments de syntaxe.
Les élèves sont sollicités à trouver par eux-mêmes les mouvements correspondant aux phénomènes travaillés.
En 10ème classe, nous avons combattu un sentiment d’impuissance avec trois phrases et trois mouvements: « je veux » (reculer avec détermination), « je ne peux pas » (s’avancer mollement), « je dois » (descendre nettement les bras tout en marchant un cercle complet).
En 12ème classe, les jeunes abordent les mouvements apparentés au zodiaque à partir de données astronomiques et d’observations sur les animaux (le lion a un fort poitrail = enthousiasme, le bouquetin du capricorne, solitaire = confrontation de la pensée avec le monde).
Finalement, on peut voir l’ensemble des douze classes tel un arc-en-ciel; les 6ème et 7ème classes se trouvent au centre, au point le plus haut, et représentent un moment-clé dans l’enseignement de l’eurythmie. Les possibilités corporelles, l’habileté conquises à cette période, donneront une assise aux réalisations plus difficiles des grandes classes.

CONSIDERATIONS A PARTIR DES QUESTIONS DES PARTICIPANTS

Pourquoi reculer dans l’espace arrière pour exprimer la volonté car quand je veux quelque chose, j’ai tendance à m’avancer, à foncer en avant ?
Madame Bardt prend l’exemple du cheval que l’on dresse: une très grande maîtrise et une pleine confiance entre l’homme et l’animal sont nécessaires si l’on veut conduire le cheval en arrière. De même, savoir prendre du recul sans crainte est une condition à toute réalisation.

Pourquoi l’eurythmie est-elle mal aimée ?
Si le jeune enfant n’aime pas le mouvement, soit il est malade, soit son professeur est mauvais ! D’autre part, certains enfants, trop ouverts—et c’est courant aujourd’hui—supportent mal d’exprimer et de faire voir directement leurs gestes et leur ressenti. A l’intérieur de ses cours, Madame Bardt ne connaît pour ainsi dire que des enfants prenant grand plaisir à cette discipline, tandis qu’au dehors, ces mêmes élèves soupirent, se plaignent et rejettent l’eurythmie ! Ces côtés pile et face vont de pair et sont inhérents à l’eurythmie. Cet art exige de celui qui le pratique d’y être complètement adonné dans le présent. Ce qui est dit avant et après est encore une autre histoire !

Comment se vit la différence de maturité physique entre garçons et filles de 7ème classe dans les cours d’eurythmie ?
Il n’est pas fructueux de s’appesantir sur ces différences, non plus de relever combien à cet âge les garçons ont de longs bras et de grands pieds. En faisant appel à leur habileté et leur adresse, des exercices de canne exigeants p.ex., ces disparités entre élèves s’effacent.

L’importance d’agir avec tout son être et jusqu’au bout de ses pieds, si elle est valable en eurythmie, ne l’est-elle pas aussi pour toutes les activités de la vie ?
Notre civilisation nous propose continuellement des situations où il n’est pas nécessaire d’être impliqué de tout son être pour que cela fonctionne, par exemple dans la conduite d’une voiture, ou l’utilisation d’autres outils formidables. Heureusement, les roues, moteurs et autres circuits marchent sans nous. C’est au fond pour nous une chance d’avoir du temps pour recréer librement notre être, d’investir notre vie intime et psychique avec conscience. Sans cela, la faculté d’être pleinement soi peut s’amenuiser, la vie intérieure s’émousser. En eurythmie, la présence ou l’absence de participation intérieure devient parfaitement visible.

POUR CONCLURE

Si vous étiez venus, j’ai la certitude que vous auriez eu beaucoup de plaisir ! Il n’y a pas eu de prise de tête, mais plutôt de pied ! (excusez-moi). Ces journées pédagogiques ont décliné et conjugué les rythmes du cœur, les mouvements des membres et la clarté de la tête. Sans cahier ni pupitre, l’objet de notre attention était à la fois soi-même et les autres dans l’espace donné.
Je veux remercier toutes les personnes qui ont permis ces riches instants. Nous souhaitons encourager l’enseignement de l’eurythmie, tel que nous l’a magistralement présenté Madame Bardt.

Jacqueline Pralong
Morges, le 9 mars 2001
publié dans la revue La Vie de l’Ecole de Pâques 2001