Qui dit « social » pense aux institutions spécialisées pour handicapés moteurs ou cérébraux, aux centres de réinsertion pour personnes en difficulté, aux EMS, aux garderies, tous les lieux où l’être humain est à entourer d’une attention soutenue et d’un regard particulier. Travailler avec ceux qui n’ont pas encore acquis leur autonomie, ou l’ont perdue, demande d’avoir traversé soi-même suffisamment d’étapes pour être capable d’accompagner l’autre dans son développement: c’est le cas des élèves de 12ème classe, qui apprennent à regarder le monde à partir de leurs propres forces et commencent à les mettre au service des autres.

Certains sont allés s’occuper de tout-petits, comme Simon Romang à la « Cajole » à Morges :
« Les enfants sont répartis sur 2 étages selon leur âge. En haut les tout-petits de 6 semaines à 18 mois, en bas les « grands » de 18 mois à 2 ans et demi… j’ai appris combien il peut être si facile et agréable de donner à manger à un nourrisson, ou comment cela peut être difficile et fatigant… j’observais à quel point la personnalité de chacun ressortait déjà malgré leur très jeune âge… j’ai connu beaucoup de sourires, de moments privilégiés d’intimité avec un enfant, à travers un jeu ou à travers le fait de lui donner une purée ou son biberon et aussi, bien évidemment, quelques larmes inévitables… les tout petits êtres humains me donnaient l’impression d’être d’une grande pureté… je dirai pour finir que ce stage a été pour moi une expérience extraordinaire à laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir. »
Héron Monnier a passé 2 semaines au jardin d’enfants « le Moulin d’Or » à l’école Steiner d’Yverdon :
«  Mon travail consistait surtout à aider les enfants à terminer leurs épées de Saint-Martin… j’ai aussi eu quelques réparations à faire, telles que réparer un tracteur et une remorque, en bois… un matin je me suis occupé seul des enfants, j’ai beaucoup aimé… je me sentais vraiment en l’âme du professeur… Quelquefois il fallait faire respecter une certaine discipline. Il fallait être patient, mais pas trop. J’ai trouvé qu’à ces moments-là la jardinière était trop gentille… au moment des chants, je me sentais gêné avec ma grosse voix, j’avais peur de les faire dérailler… il m’a fallu une bonne semaine pour chanter avec eux… la deuxième semaine j’ai dû leur raconter une histoire, je l’ai fait avec un grand plaisir… j’ai remarqué que déjà très tôt les enfants ont leur personnalité, leur caractère… je crois avoir apprivoisé facilement le cœur de ces enfants, j’étais un exemple pour eux et j’espère avoir été à la hauteur, car j’ai quand même passé deux semaines dans leur éducation ! »
Rémi Descombes a aussi confronté les joies et difficultés de l’enfance, à la « Gardoche » à La Sallaz :
« Dès mon arrivée je créais quelques timides connaissances avec certains petits, tout en m’amusant comme un fou à faire des puzzles et à jouer au train… s’il y a une chose que j’ai apprise par mon vécu, c’est l’honnêteté qu’il faut avoir avec les enfants… les parents élèvent leurs enfants de façon plus ou moins instinctive et improvisée, alors que l’éducateur ne fait rien inconsciemment. Tous ses faits et gestes sont en partie pensés de façon théorique… pendant la seconde semaine, mon zèle et mon énergie face à cet endroit nouveau disparurent pour laisser s’installer une certaine habitude et déjà un petit « savoir-faire ». C’est à ce moment-là que je souffris le plus du bruit… il faut être très ouvert et disponible… une expérience inoubliable et formidable… et pourquoi pas me lancer dans une formation d’éducateur ? »
Florian Lorétan a passé deux semaines à La Berallaz :
« un home pour des enfants ayant des problèmes sociaux, qui ne proviennent souvent pas d’eux directement, mais plutôt de leurs parents, qui dans la plupart des cas ne sont pas capables d’élever leurs enfants dans de bonnes conditions… la tâche n’est pas facile car la plupart ont été plus ou moins troublés par leur passé. Une des marques les plus importantes que j’ai pu observer, était une certaine agressivité entre les enfants… un enfant a l’air très calme puis, tout d’un coup, il suffit d’un rien pour faire ressortir tout ce qu’il a en lui… un grand besoin d’affection pour les petits, des encouragements ou des remerciements pour les moyens et parfois des confrontations par des défis pour les plus grands : je crois qu’il n’y a pas eu une fois où je n’ai reçu quelque chose en retour… l’éducateur a une grande responsabilité, car tous ses actes peuvent avoir une influence. »
Pour avoir fréquenté le centre Check Point à Yverdon entre 12 et 15 ans, Clotilde Serex a « choisi cette option par facilité mais heureusement n’a pas été épargnée… juste dire le nom de quelques-uns fait comprendre le genre de population qui y était: Zaïm, Sabit, Belina, Pratleep, Mirsad, Leila, Titi, Sunshine… donc la plupart de ces gosses sont des étrangers avec tous plus ou moins des vies vraiment pas évidentes… j’ai été très touchée par certains, je n’ai pas su installer la distance qu’il faut dans ces métiers-là… presque chaque jour ils me racontaient comment ils avaient tapé untel à l’école… il nous fallait intervenir dans un début de bagarre… j’ai découvert par ce stage une jeunesse triste, brisée et violente, chose que j’avais préféré me cacher jusque-là !… j’ai appris beaucoup, beaucoup, beaucoup pendant ce stage. Le moment où nous devons le faire est admirablement bien choisi….j’ai été sensibilisée à énormément de choses et je garde un très riche souvenir de ces journées même si les baffes reçues ont été parfois très fortes ! »
Nils Moussu a également effectué son stage dans un foyer accueillant des personnes en difficulté d’insertion sociale :
« au Relais à Morges, ce sont en majorité des personnes qui sont passées par la toxicomanie, la prison, la rue… les résidents y entrent de leur plein gré, mais souvent suite à une décision judiciaire qu’ils sont en droit de refuser. En clair, c’est le foyer ou la prison… le foyer est une petite société en miniature, qui cause déjà pas mal de soucis à nombre de résidents. Les repas sont pris en commun, préparés le matin par un cuisinier et un résident. C’est le moment où chacun parle spontanément. La journée est une succession d’entretiens privés, car cette démarche de réinsertion ne se fait de loin pas facilement… j’ai assisté à de nombreuses scènes très dures pour moi, que ce soit un « drame du moment » ou l’évocation d’une vie, la vie de l’homme ou la femme en face de vous… ces situations de vie parlent d’elles-mêmes, expliquent à elles seules la toxicomanie… la drogue est un moyen d’éviter, d’oublier pour un temps la situation dans laquelle on est. Puis le cercle vicieux prend de la vitesse jusqu’à la cassure… il a été difficile pour moi d’imaginer tant de malheurs, si peu d’amour, tant de drames, si peu d’humanité… la compréhension, voilà ce que m’a donné ce stage, la compréhension… et une immense estime pour les éducateurs spécialisés. »
Julien Kuenzi, Quentin Vallotton, Paul Walther ont passé deux semaines dans des EMS. Voici quelques unes de leurs réflexions :
« J’ai tenté d’observer chaque personne distinctement pour me faire une idée de leur caractère et de leur pathologie, une longue observation qui m’a montré la dure réalité de la démence des différents habitants… chaque cas est différent et je devais être également différent en fonction des personnes… je me suis retrouvé face à des gens dont les souvenirs s’effritaient et qui me racontaient des choses tellement absurdes que j’avais envie d’en rire. Je ne savais pas si je devais les corriger ou calquer ma conversation sur eux: cette dernière me parut la plus appropriée, alors j’ai joyeusement discuté de choses et d’autres… je me suis vite rendu compte que ce n’était pas de parler avec eux le plus important, mais de les écouter… maintenant lorsque je rencontre une vieille personne dans la rue, je sais comment l’aborder, avec quels mots lui parler, et je remercie l’école qui nous a permis d’effectuer ce stage. »
« Ce fut très intéressant de constater que les pensionnaires ont réellement besoin d’une animation, une motivation pour changer leurs activités qui se restreignent souvent à de constantes réflexions. Cela permet d’animer leur fin de vie, afin qu’ils ne se renferment pas sur eux-mêmes… ce stage m’a apporté beaucoup au niveau de la relation qu’on peut avoir avec des personnes âgées, une expérience enrichissante qui m’a permis d’observer que dans ce milieu, tout comme celui de l’enfant, la pédagogie est très importante. »
« C’est un grand bâtiment qui domine le lac. A l’intérieur, on a une impression de calme, de sérénité. Les pièces sentent le temps qui passe, le produit nettoyant, l’attente, la tristesse, les souvenirs, les regrets, la fin de tout un processus… j’ai senti une grande fatigue derrière ces yeux ridés… j’ai beaucoup appris sur le côté qu’on ne voit pas d’un EMS. J’ai remarqué à quel point le personnel avait du respect pour ces vieilles personnes et comment il leur était attaché… ce qui est le plus frappant dans ce métier est le calme, la lenteur… on ne fait rien sans prendre son temps, on peut presque dire que l’on vit au rythme d’une personne de 90 ans… une chose qui m’a aussi marqué était l’expression dans le visage de ces personnes, une expression d’ennui, de désespoir, de volonté perdue, de grande dépression liée au fait que la vie touche à sa fin et que tout ce que l’on fait à présent est inutile puisqu’il n’y a plus de but à atteindre… le dernier jour, une dame qui voulait toujours rentrer chez elle alors que chez elle était ici, m’a offert un café et m’a souhaité bonne chance avec un grand sourire sur son vieux visage: ce souvenir est pour moi une récompense d’avoir fait ce stage. »

Ces quelques reflets illustrent bien la diversité du vécu des élèves à l’occasion de ces stages, qui ont fourni à chacun d’eux matière à réflexion pour aborder les différentes étapes de la vie, à titre personnel et bientôt professionnel, avec une conscience mieux aiguisée et davantage de responsabilité. Un grand merci pour les rapports de stage, qui témoignent de l’investissement individuel et permettent de faire partager la richesse des expériences vécues à un cercle élargi.

Geneviève Vaudois-Weltert
publié dans la revue «La Vie de l’Ecole» de Pâques 2002